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MERLIN.

contèrent ce nouveau désastre, ne put retenir une folle et vilaine parole ; il donna au diable tout ce qui lui restait. L’Ennemi en conçut une joie extrême, et, mettant à profit l’égarement du prud’homme, il fit main basse sur toutes ses autres bêtes. Le chagrin alors éloigna le malheureux père de famille de toute espèce de compagnie, et l’Ennemi trouva dans cet isolement[1] la facilité de surprendre le fils endormi et de l’étrangler. Le prud’homme ayant ainsi perdu ce qu’il aimait au monde, cessa de croire en Dieu. Pour l’Ennemi, il mit à profit le temps, et revint à la femme : dès qu’elle ressentit sa présence, elle courut à son cellier, monta sur une huche, saisit une corde et la serra autour de son cou. L’Ennemi poussa de son pied la huche, et ne s’éloigna qu’après s’être assuré que la femme était étranglée. Le prud’homme ne supporta pas cette dernière honte : une maladie le prit ; la mort ne tarda

  1. Cette croyance au danger de l’isolement est plusieurs fois exprimée dans notre roman. Dans l’épisode du prêtre dont Merlin découvre le commerce criminel avec la mère d’un de ses juges, et qui s’enfuit loin de tous ceux qu’il fréquentait ordinairement, l’auteur fait cette réflexion : « Por ce deſſent cis contes que nus homs fuie les gens ; que deables repaire plus tost et tient compaignie es gens seules que as autres. » (Ms. 747, fo 81, v°.)