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je, le caractère et la composition du deuxième Saint-Graal, du Lancelot et du Tristan, au milieu d’une société qui, jusque-là, n’avait écouté, retenu que les chansons de geste, expression de mœurs si rudes, si violentes et si primitives ? Comment Garin le Loherain, Guillaume d’Orange, Charlemagne, Roland, ont-ils pu si soudainement être remplacés par le courtois Artus, le langoureux Lancelot, le fatal Tristan, le voluptueux Gauvain ? Comment, à la sauvage Ludie, à la violente Blanchefleur, à la fière Orable, a-t-on pu substituer si vite des héroïnes tendres et délicates, comme Iseult, Genièvre, Énide et Viviane ? Comment enfin des œuvres si différentes, expression de deux états de société si contraires, ont-elles pu se coudoyer dans le douzième siècle ?

C’est qu’au douzième siècle, et même avant le douzième siècle, il y avait en France deux courants de poésie, et deux expressions de la même société. Les trouvères français puisaient à l’une de ces sources, les harpeurs bretons à l’autre. Les premiers représentaient les mœurs, le caractère et les aspirations de la nation franque ; les seconds, séparés par leur langue et par leurs habitudes du reste de la population française, se berçaient à l’écart des souvenirs de leur ancienne indépendance, conservaient le culte des traditions patriotiques, et