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rent ses premiers pas, quelle étoit leur profession dans la ville et combien de temps il avoit vécu sous leur tutelle.

Il y a dans cette réserve quelque chose de singulier, et l’on pourroit en conclure que dans ce temps où la situation de fils naturel étoit assez gaillardement acceptée, Jean Froissart n’étoit pas en possession de ce que nous appellerions un état civil parfaitement régulier. Mais on peut expliquer autrement la discrétion de Froissart. Peut-être, après avoir perdu ses parents fort jeune, ne s’etoit-il pas toujours bien entendu avec son tuteur : celui-ci, loin de favoriser son impatience de courir le monde à la suite des grands, auroit peut-être voulu le voir entrer dans un des grands corps de marchandise de la ville de Valenciennes et le jeune homme, devenu majeur, se seroit empressé de recevoir ses comptes de tutèle pour suivre plus librement son inclination naturelle. Ce qui sembleroit donner une certaine force à cette conjecture, c’est que nous voyons Froissart se mettre en voyage dès les premiers jours de sa majorité, visiter l’Angleterre et paroître en assez bon point devant la reine Philippe de Hainaut, femme d’Édouard III. Or, pour agir ainsi, ne dut-il pas avoir sa disposition soit le fonds, soit le revenu d’un petit patrimoine ? Je m’arrête donc à cette explication : Froissart pourvu de quelque bien aura choisi tout de suite la profession de ditteur ou poëte et d’historien. Plus tard il nous laissera clairement entendre que les gens auxquels il étoit tenu avoient toujours désapprouvé sa résolution, et qu’ils n’avoient cesse de lui dire : « Sois marchand comme nous, ou fais-toi d’Église, comme tant d’autres, moins chargés de science. La marchandise t’enrichira, l’Église te donnera la tranquillité dans ce monde et le bonheur dans l’autre. » Mais Froissart avoit pour la marchandise une grande répugnance, et fort peu de vocation pour la profession religieuse et contemplative. Ce qu’il aimoit, c’étoit la vie libre, indépendante, aventureuse ; le mouvement, les voyages, la conversation des chevaliers et des nobles dames ; les récits de combats, de tournois et de fêtes ; la lecture des