Page:Paris, Paulin - Nouvelles recherches sur la vie de Froissart.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 26 —

personnelles. Comment s’étonner qu’il soit parfois inexact sur la véritable forme des noms, sur la date des événements et sur les événements eux-mêmes ? C’est là pourtant le grand reproche qu’on ne cesse de lui adresser, sans considérer que pour avoir tant de fois rencontré juste, sur des points délicats et difficiles à constater, il a dû se donner de grandes peines et se livrer à des recherches infinies. Toute sa vie ne fut qu’un voyage. Dès l’âge de vingt ans il commença d’enquérir ; à soixante ans, il voyageoit, il interrogeoit, il examinoit encore. Il n’est pas de personnage considérable de son temps qu’il n’ait eu le bonheur et le talent de faire poser devant lui, et c’est ainsi que chaque jour, ou du moins chaque année, lui apportoit une moisson, qu’il disposoit ensuite et coordonnoit sans parti pris à l’avance, sans passion personnelles, sans autre souci que celui de tenir note de tous les faits dignes de mémoire.

Considérons combien la mémoire la plus sûre est encore chez nous défaillante, incertaine et trompeuse. À la distance de dix années, toutes les dates se brouillent et se confondent dans notre pauvre cerveau. Nous avons peine à nous représenter en quel mois, en quelle année nous avons dit, nous avons fait ce qu’il nous importeroit le plus de bien savoir ; il nous faut une sorte de recueillement pour nous ramentevoir le jour de la mort de nos meilleurs amis, de la naissance de nos propres enfants. Comment donc ceux qui ne peuvent écrire l’histoire que par ouï-dire et sur l’autorité de souvenirs personnels ou communiqués ne seroient-ils pas constamment exposés à prendre le change sur le mois et même sur l’année des événements de l’histoire générale ? Et comment les noms de lieux et de personnes, ordinairement écrits d’une façon et prononcés de l’autre, seroient-ils toujours exactement reproduits dans les œuvres de ce genre ?

Mais, la part une fois largement faite à toutes ces méprises inséparables de la situation de l’écrivain, il faut avouer que Jean Froissart est un des historiens qui se sont le plus