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compte ou pour celui des autres tant de petites pièces chantées ou déclamées dans les fêtes, dans les palinods ou dans les grandes assemblées des cours, le trouvère en tiroit alors un dernier parti en les groupant dans une fable de son invention. C’étoit ordinairement le récit d’un amour plus ou moins partagé par une maîtresse plus ou moins réelle. La première entrevue, le premier aveu, les querelles, les absences, les retours, tout cela permettoit d’employer les anciennes pièces inspirées par des sentiments et des situations analogues. Il y a dans l’œuvre poétique de Froissart trois ouvrages de ce genre : le Meliador, dans lequel il intercala toutes les chansons du duc Wenceslas de Brabant, un de ses maîtres (on ne l’a pas encore retrouvé) ; l’Espinette amoureuse, composée en 1373, peu de temps après son entrée dans les ordres ; enfin le Joli buisson de Jonesce, dans lequel, avant de renoncer à la gaie science, le curé de Lessines rassemble les derniers rondeaux, lais et virelais qui lui avoient été commandés.

Dans l’Espinette amoureuse, Froissart se présentoit comme épris d’une gracieuse demoiselle dont les rigueurs avoient fini par lui causer une fièvre dévorante. À peine convalescent, il avoit pris la résolution de courir le monde pour voir si l’absence ne produiroit pas ce que la présence n’avoit pu faire. En pleine mer, l’amant profitoit d’un orage terrible pour composer un interminable lai : il arrivoit enfin en Angleterre ; mais en dépit de tous les plaisirs qui s’offroient alors à lui, il s’empressoit de revenir dans le pays embelli par la présence de la dame de ses pensées. Il revoyoit sa maîtresse dans un bal, puis dans un délicieux jardin. Mais en cet endroit, la série des pièces qu’il vouloit employer se trouvant épuisée, il ne nous disoit pas comment avoit fini cette belle passion.

Or si la reine d’Angleterre avoit pu lire ce poëme de l’Espinette amoureuse, elle auroit sans doute félicité le gentil trouvère de la façon dont il avoit su tirer parti des chants qu’elle connoissoit déjà ; mais elle ne se seroit pas avisée de croire à la réalité de cet amour poétique qui ne l’avoit pas empêché