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souvenir confus de la chanson dont il n’avait pas eu le texte sous les yeux.

Pour mieux justifier les plagiats dont il accuse notre pèlerin, M. Pigeonneau ne veut pas qu’il ait fait son ouvrage avant 1125, ni même avant la mort de Baudouin du Bourg, arrivée en 1138. Mais dans l’hypothèse de ces plagiats, il fallait donner à la chanson d’Antioche une date encore moins ancienne. Je n’aurai pas de peine à le prouver.

Albert d’Aix a poursuivi son Historia hierosolymitanæ expeditionis jusqu’à l’année 1120. Il la rédigea donc plus tard ; un certain temps ayant dû s’écouler entre les récits qu’on lui venait débiter de cette dernière année et la mise en œuvre de ces récits. Il faut compter encore un autre laps pour les transcriptions plus ou moins nombreuses de son ouvrage. Qu’Albert ait été chanoine d’Aix-la-Chapelle, comme le veut M. Pigeonneau, ou d’Aix en Provence, comme l’avaient pensé les auteurs de l’Histoire littéraire de la France, et la Gallia christiana[1], il faudra toujours admettre un nouvel intervalle avant que les copies de cette histoire s’en fussent répandues en France ; car les manuscrits ne se multipliaient et ne se répandaient pas alors avec la rapidité dont nous sommes aujourd’hui redevables à l’imprimerie. C’est donc au plus tôt vers 1130 que notre trouvère (en admettant qu’il entendît mieux le latin qu’aucun de ceux de la même profession) aura pu y puiser les sources de la chanson qu’il entendait faire. Et il ne faut pas oublier que les copies de ce gros livre latin, aujourd’hui des plus rares, ne durent jamais être des plus communes. Si donc Richard emprunta la plus grande partie de son poëme au chanoine d’Aix, il dut nécessairement le faire à partir de cette publicité. Nous voilà déjà bien près de 1140.

Le pèlerin Richard las, on ne sait pourquoi, de se régler

  1. Sub Fulcone præsule 1118 ad an. 1153, floruit in ecclesià Aquensi, Albertus, aliter Albericus, canonicus et custos. Scripsit satis accuratè historiam Hierosolymitanæ ab an. 1095 ad ann. 1120. (Gallia christiana, I, p. 344.)