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les chantres de geste. « Ce pauvre prêtre de Civray, dit-il, qui célébrait en si mauvais latin les Gestes de Dieu par les Francs[1], était le contemporain des poëtes anonymes qui chantaient en langue vulgaire les exploits de Charlemagne, d’Olivier et de Roland. Pourquoi n’aurait-il pas été poëte à son heure, comme à son heure il avait été chevalier[2] ? »

Ainsi notre pèlerin Richard n’aurait introduit ces ornements dans la Chanson d’Antioche, où ils sont à leur véritable place, que pour les avoir trouvés dans Tudebode et dans Albert d’Aix, où ils sont tout à fait déplacés. Cette supposition est aussi, singulière qu’inattendue, et mieux eût valu, pour employer une expression vulgaire, ne pas tant tourner autour du pot[3].

Au reste, les ornements poétiques dont je viens de parler se bornent dans les Tudebode aux prédictions de la mère de Corbaran, et à la liste des anciens rois d’Antioche, substituée à celle des chefs de l’armée persane, dans la chanson de Richard.

Albert d’Aix n’a pas recueilli l’épisode de la vieille Calabre mère de Corbaran, ni le dénombrement des chefs de l’armée persane rassemblée autour d’Antioche. En revanche, il s’est étendu outre mesure sur les détails de la réception de Soliman de Nicée à la cour du puissant soudan de Perse. La même réception tient une place assez grande dans la chanson de Richard, et malgré de très-sensibles différences

  1. Gesta Dei per Francos. Ce titre appartient à l’œuvre de Guibert de Nogent, non à Tudebode.
  2. L’idée de faire du pauvre prêtre à son heure un chevalier, est une pure fantaisie de M. Pigeonneau.
  3. Quelques pages plus loin, M. Pigeonneau met au nombre des larcins faits par Richard à Tudebode l’épisode « d’Amedelis nommant à Corbaran les chefs croisés, à mesure qu’ils franchissent le pont de l’Oronte. » Or il n’est pas dit un mot de cet Amedelis, ni de ce dénombrement de l’armée chrétienne dans aucun des textes de Tudebode. Il faut donc qu’après avoir dicté tout cela à notre trouvère, Tudebode ait jugé inutile de le dire lui-même.