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Cil qui boivre voura n’i porra pas faillir
Parmi la porte en issent, por lor seigneurs véir.

Quent les dames se furent ens ès prés assemblées,
Lor seigneur les esgardent, qui tant les ont amées ;
Por la grant pité d’elles ont les colors muées,
Puis ont des blans aubers les ventailles fermées.
Après ont esgardé aus tranchans des espées,
Puis les ont à leur bras par grant force branlées,
Au mautalent qu’il orent en ont lor foi juree
Qu’ainçois que il les perdent, seront chier comparées.
(T. II, p. 223.)

Assurément, voilà de la belle poésie. Et tandis que le chanoine d’Aix, Albert, avait, seul, accusé les nobles dames et pucelles (puellæ), surprises par les Turcs dans le val de Gurhenie, de s’être parées de leurs riches habits pour essayer d’attendrir le cœur des mécréants, Richart les avait vues au même moment, se hâtant de venir en aide à leurs frères, à leurs époux :

Forment desirent l’aigue li chevalier Tangré ;
Mestier lor ont éu celes de leur regné,
Les dames et pucieles dont il i ot assés.
Quar cles se rebracent, les dras ont jus jetés,
Et porterent de l’aigue aus chevaliers lassés,
As pos et as escueles et as hanas dorés.
Quant ont bu li baron, si sont resvigorés.

Citons encore deux autres passages qu’on ne pouvait attendre des clercs historiens. La plupart des Croisés étaient disposés à regarder comme sincère la découverte de la Sainte lance, mais ils avaient encore plus de confiance à la vertu de leurs grandes épées. Ils refusent donc, l’un après l’autre, de porter ce nouveau palladium, comme les y invitait l’évêque du Puy. Le prélat s’adressant en dernier lieu à Hue le Maine, frère du roi de France :

« Sire, dist li cuens Hues, moult grant tort en avés,
Qui de porter la lance nul de nous requerrés