Page:Paris, Paulin - Nouvelle étude sur la Chanson d’Antioche.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 23 —

conter dans le pays natal de ce qu’elle avait déjà fait et devait faire encore. Surtout, disaient les barons, gardons qu’il ne soit fait de nous de mauvaises chansons. Ils n’ignoraient donc pas que parmi les nombreux clercs ou jongleurs que la dévotion ou la simple curiosité avait entraînés à leur suite, il devait s’en trouver qui eussent l’intention de raconter, les uns en latin, les autres en roman du Nord et du Midi, tout ce qui se passerait sous leurs yeux : et ces barons, ces chevaliers n’avaient pu rester indifférents à ce que rapportaient les clercs et les jongleurs. Tudebode paraît avoir écrit d’abord sous les auspices du comte de Saint-Gilles, dont il semble qu’il se soit ensuite séparé ; de toutes les relations, ce fut la sienne qu’on répéta le plus souvent dans les autres quartiers de la grande armée. Celles de Foucher de Chartres, de Raimond d’Aguilers et de Raoul de Caen, faites également par des clercs compagnons des Croisés, furent rédigées dans une intention pour ainsi dire exclusive. Mais ce qui porte dans Tudebode une sorte de caractère officiel, c’est la faible part qu’il accorde aux fautes, aux méprises, aux désordres inséparables d’une telle entreprise. Le blâme atteint seulement chez lui ceux qui, ayant abandonné l’armée, ne sont plus là pour se défendre, et pour comprimer l’indignation de ceux qui restaient. Tels furent le comte de Blois, le Grec Tatice, et les chevaliers de Normandie, qui s’étaient esquivés furtivement d’Antioche et avaient mérité le nom de funambules.

Si la première relation envoyée en France eût été d’un caractère plus confidentiel, elle aurait apparemment contenu d’autres jugements non moins sévères, tantôt sur la conduite de Baudouin, tantôt sur celle de Tancrède, du comte de Saint-Gilles ou même du sage et vaillant Godefroi. Les chefs n’ayant pas toujours agi d’un parfait accord, on y trouverait l’apologie des uns, la condamnation des autres. Justes ou non, de telles appréciations n’auraient pas manqué de s’y rencontrer.

Le pèlerin Richart dut se trouver dans une position assez