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d’Antioche de composer une chanson telle que les Chétifs. Après tout, il se peut que le comte Guillaume n’ait rappelé les misères de la captivité dont parle Orderic, que dans un certain nombre de chansons légères, sirventes ou rotruenges, et que son fils ait voulu que ces petites pièces devinssent le sujet de la Chanson des Chétifs. Ce qu’on peut au moins assurer, c’est que le trouvère, auteur des vers que nous venons de citer, savait très-imparfaitement l’origine du poëme qu’il faisait entendre et le vrai nom de celui qui l’avait trouvé.

M. le professeur Pigeonneau s’est proposé, dans sa thèse, d’établir que le pèlerin Richart avait puisé le fonds et les principaux éléments de son œuvre dans les relations d’Albert d’Aix, de Tudebode, de Guibert de Nogent, et même de Foucher de Chartres. « Si, dit-il p. 22, on retranche la partie de la chanson qui concorde avec le récit des chroniqueurs, il ne reste plus que des lambeaux informes, des tronçons épars, sans lien, sans unité, disjecti membra poetæ. » La chute est assurément jolie ; mais que M. Pigeonneau me permette de le lui dire : Non erat hic locus. D’ailleurs, il m’en coûtera peu de reconnaître que Richart a, comme les autres historiens, mentionné l’arrivée des Croisés à Constantinople, le siége et la prise de Nicée, la bataille de Gurhenie, l’arrivée de Tancrède et de Baudouin de Boulogne devant Tarse, la querelle de ces deux princes, le siége, la prise et la défense d’Antioche. Mais est-il besoin de faire remarquer au docte professeur que notre pèlerin, s’il eût omis de raconter ces circonstances majeures de la grande campagne, eût fait une œuvre de pure imagination ? Ce qu’il importait de rappeler, c’est que le récit qu’il en présente est parfaitement indépendant des autres relations, c’est qu’il en diffère dans la plupart des détails et sous tous les points de vue. Et puis, tandis que de grands clercs tels que Guibert de Nogent, Robert de Reims et Baudri de Bourgueil n’avaient connu d’autre histoire de la Croisade que les thèmes de Tudebode, et n’avaient pas soupçonné qu’il