Page:Paris, Paulin - Nouvelle étude sur la Chanson d’Antioche.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 16 —

Maintenant, quel rapprochement était-il permis d’établir entre les faits consignés dans toutes les histoires d’Outre-mer et les deux vers de notre chanson ?

C’est pourtant à l’aide d’une pareille exposition des textes que le savant professeur décide que la Chanson d’Antioche avait été composée vers 1130, par un trouvère assez ignorant pour confondre Baudouin II, troisième roi de Jérusalem, avec Baudouin de Boulogne, comte d’Édesse en 1098.

Je reviens à notre Richart, apparemment originaire d’une de nos provinces du Nord. Le plaisir qu’il semble prendre à raconter les prouesses du jeune Enguerrand de Saint-Pol et de son père le comte Huon donne à penser que s’il n’était pas né dans les domaines de ces puissants barons, il avait au moins trouvé un abri sous leurs tentes, pendant une partie du belliqueux voyage. Mais il ne faut pas oublier que la menue gent, c’est-à-dire les simples clercs, les jongleurs, les artisans, se trouvaient, par le fait de la prise de croix, affranchie de toute discipline féodale, comme l’a remarqué Guillaume de Tyr. Chaque individu, chaque famille, chaque groupe choisissait le baron qu’il entendait suivre, sans avoir le droit de rien exiger de celui dont il réclamait une protection bienveillante. Ainsi, le prêtre Tudebode, parti avec le comte de Saint-Gilles, s’était attardé dans le camp de Boemond, puis était revenu au comte de Saint-Gilles. Du camp des Flamands, Richart paraît avoir passé dans celui de Tancrède. Mais il a toujours cru devoir éviter, dans une chanson de geste, de se mettre en scène, si bien que nous ne pouvons dire s’il avait porté les armes ou s’il s’était contenté de chanter ceux qui avaient su le mieux s’en escrimer. Par ce qu’il a recueilli et par ce qu’il n’a pas mentionné, on peut assez exactement tracer son itinéraire. En quittant son pays, il a dû prendre la route d’Italie avec les Flamands, les Champenois, les Tourangeaux qui n’avaient pas attendu le printemps de 1097 pour passer à Constantinople, où Godefroi de Bouillon les avait déjà précédés. Avec l’armée croisée, il traversa l’Hellespont, arriva devant Nice,