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seules entrailles ; mais, à trois mois de là, il serait encore venu porter le cœur de son père dans l’église sicilienne. Remarquez bien qu’il ne reste pas la moindre trace de cette deuxième translation, et que pour en compléter l’invraisemblance il faut supposer que le cœur, d’abord séparé, aurait été définitivement confondu avec les entrailles. Ne voilà-t-il pas un admirable moyen de concilier Geoffroi de Beaulieu et le roi de Navarre ? Et parce que je ne pouvais partager cette manière de voir, fallait-il m’accabler d’injures ?

M. Letronne a développé ces idées nouvelles depuis la publication des sentiments de M. Le Prévost ; il a fait alors une dissertation particulière tendant à prouver : 1° que la lettre de Thibaud de Navarre était de Thibaud de Navarre ; 2° que cette lettre était réellement adressée à l’évêque de Tusculum ; 3° que cet évêque était Othon (ou mieux Eudes) de Châteauroux ; 4° enfin, que la lettre de Thibaud justifiait parfaitement le passage de Geoffroi de Beaulieu. Cette dernière proposition appartient bien réellement à M. Letronne ; mais il y avait longtemps que Mathieu Paris avait mis hors de doute l’authenticité de la lettre ; et Tillemont, dans l’Histoire de saint Louis, M. Daunou, dans l’Histoire littéraire, tome XIX, l’avaient citée, l’avaient appréciée de la manière la plus exacte du monde. Il est donc permis de craindre que les bons raisonnements de M. Letronne à ce propos n’ajoutent pas un grand éclat à la réputation de sagacité que d’autres travaux lui ont justement acquise.

Note E.

M. Natalis de Wailly a cependant essayé de rétablir la sincérité des dix derniers chapitres de Geoffroi de Beaulieu. Mais comme je n’ai pas changé un seul mot au travail que j’ai lu devant l’Académie, on en conclura sans doute que l’on n’a pu me réfuter convenablement en justifiant l’authenticité des derniers chapitres sur celle des premiers. En effet, j’avais remarqué que, pour donner à l’ouvrage demeuré imparfait une forme arrêtée, on avait pu juger à propos d’y coudre un préambule et d’y joindre une conclusion. Ce préambule de Geoffroi embrasserait les cinq premiers chapitres, la conclusion les dix derniers. Le reste offrant des détails confidentiels, tels qu’avait pu les demander le pape, tels qu’avait pu les donner Geoffroi, et le préambule, comme la conclusion, pouvant se détacher du reste de l’ouvrage sans le moindre effort, je n’ai pas voulu donner plus d’extension à mon scepticisme. C’est là ce que je pourrai faire une autre fois.

M. de Wailly s’est encore donné beaucoup de mal pour trouver combien de fois Louis IX était appelé sanctus rex dans le corps de l’ouvrage. Je me suis contenté d’objecter l’épithète de beatus, qu’on chercherait vainement avant les chapitres controversés. Il faut à mon avis tenir compte de la nuance qui existe entre sanctus rex et beatus rex : car c’est au Saint-Père que Beaulieu, en 1273, est censé parler, au Saint-Père qui demandait à être éclairé sur les droits du roi défunt à la béatification. Était-il convenable de désigner en ce temps-là Louis sous le titre de beatus rex ? Je ne le pense pas. Que cette preuve ne soit pas suffisante pour justifier le doute, j’y consens ; mais elle n’est pas seule, c’est même la moins forte de toutes.