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tronne, « que dans une lettre il dit que le cuer et le cor demeurèrent en l’ost, car le peuple ne voult pas souffrir en nul manière qu’il en fust portés, mais les Bollandistes observent judicieusement que l’auteur n’est ici que l’écho d’un bruit que l’on fit répandre lors du départ de Charles, pour apaiser le mécontentement de l’armée. »

Admettons que Jean Stilting, le bollandiste, soit aussi tranchant qu’on nous le représente[1] ; est-il permis cependant de regarder comme l’écho d’un vain bruit de l’armée déçue la relation claire, touchante et vraie dans toutes ses parties, qu’adresse à l’évêque de Tusculum, à un légat du saint Siége en France, le roi de Navarre, gendre de saint Louis, celui qui n’avait pas un instant quitté le roi vivant, ni Charles d’Anjou, ni les restes précieux du chef que l’armée avait perdu ? N’est-ce pas abuser d’un admirable talent que d’appuyer une dénégation sur des arguments de cette espèce ? Il me semble d’ailleurs que M. Letronne a pris ici trop facilement le change sur le sens d’une phrase importante de la lettre de Thibaud. En nous apprenant que l’armée ne voulut pas souffrir que les os et le cœur du roi lui fussent enlevés, Thibaud fait allusion, non pas au présent que le roi de Sicile avait sollicité, mais à la dépouille mortelle que les religieux devaient reconduire en France. Cela ressort du texte de Geoffroi de Beaulieu, et c’est pour satisfaire à ces réclamations touchantes de l’armée qu’on fit embarquer les religieux sans leur précieux fardeau. Il est même permis de penser que Nangis n’a pas dit un mot du cœur parce qu’il était moine de Saint-Denis ; et si le roi de Navarre en a fait une mention particulière, c’est parce qu’il écrivait à Eudes de Châteauroux, évêque de Tusculum, le même prélat qui précédemment avait consacré la Sainte-Chapelle de Paris, comme a bien voulu me le rappeler notre savant confrère, M. Victor Leclerc.

Cela posé, que devient ce bruit que l’on fait répandre lors du départ de Charles, pour apaiser le mécontentement de l’armée ? Quand le roi de Navarre écrivait, Charles n’était pas

  1. Præponderat apud me vel unius Gaufredi auctoritas, præsertim cum fama potuerat spargi de corde retento, ad vitandum Gallorum murmurationem, indèque auctorcs memorati ad errorem adduci. (August., t. V, p. 517.)