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retrouver, dans leurs remaniements, l’empreinte et la physionomie des hommes et des mœurs de l’époque Carlovingienne.

La critique moderne n’a pas reconnu tout de suite la véritable date des Chansons de geste. Il n’y a pas encore un demi-siècle que deux écrivains savants et illustres, M. Daunou et M. Fauriel s’y étoient complétement mépris. Le premier étoit persuadé que leurs auteurs n’avaient eu d’autre inspiration que la chronique grossièrement fabuleuse attribuée à l’archevêque Turpin ; le second pensoit et a plus d’une fois répété que ces poëmes, composés à l’occasion des Croisades, étoient tous postérieurs à la prédication de Pierre l’Ermite et au départ des premiers croisés. On sait aujourd’hui, à n’en plus douter, que la chronique des faux Turpin, loin d’avoir donné naissance aux Chansons de geste, fut, au contraire, elle-même inventée à leur occasion ; et que le dernier poëme, non le premier, auquel on puisse encore appliquer le nom de Chanson de geste originale, fut composé, par un pèlerin nommé Richard, pour célébrer la prise d’Antioche et les exploits des premiers croisés. Il faut donc reconnoître que ces grands ouvrages sont l’expression de la société françoise avant les Croisades, et c’est principalement sous ce point de vue qu’ils méritent d’attirer l’attention et de devenir l’objet des études du moraliste, du philosophe et de l’historien.

Je dirai, dans nos prochains entretiens, comment la Chanson de geste représente les temps épiques de notre pays, et comment elle se tut au moment où l’histoire, se débarrassant des langes de la langue latine, fut, pour la première fois, écrite en françois et mise à la portée de toutes les classes de la société. Je rappellerai les témoignages les plus anciens de cette forme primitive de la narration chantée, et je trouverai le moyen de lier ces témoignages à des textes originaux du ixe siècle, qui nous permettront de distinguer la Chanson historique primitive de la forme que lui donnèrent les trouvères des xiie et xiiie siècles. Aujourd’hui, dans une rapide