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« Pippinos, Carolos, Hludovicos et Theodoricos,
« Et Carlomannos, Hlothariosque canunt. »

On avoit de même prodigué les chansons aux comtes palatins du nom de Gérart, d’Aimeri, de Guillaume, de Garin, de Foulque, d’Albéric et de Renaud.Chacun de ces noms, portés par tous les aînés d’autant de grandes familles, durent finir par se confondre entre eux, au point de ne plus représenter qu’autant d’individualités ; car les dates de siècle ou d’année n’étoient pas recueillies, leur mention étant jugée inutile par les contemporains des héros et des événements. Les trouvères postérieurs ayant donc affaire à des hommes peu soucieux de la chronologie et de ce que nous appelons les synchronismes de l’histoire, eurent beau jeu pour fondre ensemble plusieurs gestes, et pour concentrer l’intérêt de dix aventures sur un seul personnage.

Prenons un exemple. Quand le comte Gérart eut perdu et reconquis son château de Roussillon, la chanson raconta, sans doute cette perte et cette reprise ; plus tard, une légende transmit la mémoire de la retraite de Gérart dans l’abbaye de Pontières, tandis que d’autres chansons racontèrent comment un duc de la haute Bourgogne, Thiéry d’Ascagne ou de Séquanie, avoit été chassé de ses domaines par Drogon, fils de Charles Martel, et avoit vécu sept ans caché dans les Ardennes, avant d’être rétabli dans tous ses honneurs par Louis le Débonnaire.

Une autre geste enfin disoit le mariage de Boson, duc de Bourgogne, puis roi d’Arles, avec la fille de l’empereur, sœur de la reine de France.

De ces quatre récits, les trouvères du xiie siècle firent un seul poëme. Ils représentèrent Girard, fils de Drogon, épousant la sœur de l’empereur Charles, défendant et abandonnant le château de Roussillon, vivant misérablement caché dans la forêt des Ardennes, rentrant dans les bonnes grâces de l’empereur et terminant pieusement sa vie dans les austérités d’une abbaye qu’il avoit fondée.