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Ce qu’il y a d’inattendu dans cette aventure, c’est que les avances de la Reine sont mieux reçues que celles de la jeune fille, et que les deux princesses n’en demeurent pas moins en parfaite intelligence.

La geste de Girbert le Loherain reproduit la même aventure. La femme et la fille du roi Anséis sont tombées amoureuses de Girbert ; Guérin, cousin de Girbert, dans l’intérêt de leurs communes vengeances, veut lui persuader de répondre aux avances des deux princesses. Girbert s’y sent assez mal disposé, il n’aime, il ne regarde que son cheval Fleury. Un jour que Girbert et Guérin chevauchoient devant le palais, ils virent aux fenêtres la fille du roi. « Elle avoit, dit le poëte, le corps gent, le visage coloré, la chair blanche comme la fleur de lys. » Guérin faisant alors signe à Girbert : « Regarde, cousin, comme cette dame est belle ! — Ah ! répond Girbert, quel excellent cheval que Fleury ! où trouver un meilleur coureur ? — Cousin, dit encore Guérin, voilà une merveilleuse jeune fille ! vois ses beaux yeux bleus, vois sa charmante fraîcheur ! Ne faudroit-il pas être vilain pour hésiter à la requérir d’amour ? — Sérieusement, répond Girbert, il n’y a pas dans toute l’Espagne un cheval comparable à Fleury. » Et Guérin eut beau faire, la jeune fille en fut pour ses avances.

Le type de la femme ardente et grossièrement passionnée est, pour ainsi dire, un lieu commun des Chansons de geste. Dans Garin de Monglane, l’impératrice Galienne, femme de Charlemagne, a trouvé dans Garin une vertueuse résistance. Elle ne jure pas de se venger comme Phèdre, ou comme la femme de l’échanson égyptien ; elle fait beaucoup mieux ; elle avoue franchement son crime à l’empereur lui-même. Nous pouvons reconnoître ici un tableau des anciennes mœurs. « Sire ! dit-elle à l’empereur, laissez une malheureuse ; je ne me soucie pas de votre affection, je ne demande que celle de Garin. C’est Garin qui m’empêche de savourer le piment, le vin pur, la chair de gibier ou de poisson ; c’est lui qui