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au dix-neuvième. Qu’on me permette un seul des nombreux exemples que j’en pourrais citer ; je le prends dans le Jongleur d’Ely, fabliau du treizième siècle rapporté d’Angleterre par M. Francisque Michel :

Si vent de sa Loundres en un prée,
Encountra le rey et sa meisnée ;
Entour son col porta soun tabour
Depeint de or e riche atour.
Le rei demaund par amour :
« On qy este-vus, sire joglour ? »
E il respount sauntz pour :
« Sire je su on mon seignour, » etc.

Est-ce là de la bonne versification française ? Oui, dira M. Génin, car cela ressemble à Théroulde. Mais, de notre côté, nous répondrons que le Théroulde pourrait bien être du treizième siècle, car il ressemble singulièrement au Jongleur d’Ely.

Je crois avoir déjà dit que M. François Génin avait choisi, pour traduire un poëme écrit en vers réguliers de dix syllabes assonantes, un système particulier de vers blancs. Ses vers ne sont pas toujours faciles à reconnaître mais il est au moins certain que sa traduction, annoncée comme faite dans la langue du seizième siècle, n’appartient au français d’aucune époque. C’est un mélange baroque de mots malsonnants et d’inversions bizarres, qui porte nécessairement sur les nerfs les plus robustes. Quelle singulière fantaisie, en effet ! Choisir l’époque la plus gourmée de notre littérature pour l’appliquer à la traduction d’un poëme des temps primitifs ! Et comme si cela ne suffisait pas, disposer ces mots surannés en prose cadencée, en vers blancs ! les vers blancs dont nous avons horreur en France, notre prosodie n’étant pas assez compliquée pour se passer de la difficulté de l’assonance ou de la rime. M. Génin ne s’est pas contenté de supprimer la rime ; il a fait un pêle-mêle de toutes les mesures, et préparé pour notre oreille et nos yeux le plus abominable mélange de tons et de couleurs dont peintre d’enseigne ait jamais eu la coupable pensée. Mon Dieu, quels tristes efforts pour singer l’originalité ! Il atteste, pour s’appuyer d’un ancien exemple, la version du Livre des Rois ; mais il est démenti par l’édition de M. Le Roux de Lincy, que nous avons tous pu consulter. Sans doute l’ancienne prose française comportait,