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acceptant une fois la première personne plurielle, a écrit odum : ce n’est pas une raison pour substituer : « odir ; odez, seigneurs, et il odi. » Autant vaudrait prétendre que l’affirmation oui, oil, devrait s’écrire odi. Heureusement, à deux pages de là (p. clv), M. Génin nous recommande de prononcer oez, oyez ; car, il faut en convenir, M. Génin fait un grand usage de la lance d’Achille, et souvent il ne blesse que pour se donner le plaisir de guérir.

Deux choses dominent donc dans ce traité de la prononciation au onzième siècle, la puérilité des moyens et la nullité des résultats. Ainsi l’on aura dû écrire deable avant diable, parce que l’i de diabolus est bref. — Le nom propre Fayet ou Fayette viendra de fata, non de fagus. — Il faudra écrire nés, neveu, au lieu de niés qui pourtant a fait nièce. — Dans ce vers :

Ja est-ço Rollans ki vos soelt tant amer

(Ch. III, v. 564.)


on supprimera le premier a, à moins qu’on n’aime mieux faire tomber l’élision sur l’e suivant (p. clx) ; à moins, dirai-je à mon tour, qu’on ne préfère élider le premier o : Jà est c’Rollans. — Le peuple respecterait l’euphonie en prononçant oust-ce que, au lieu de où est-ce que des gens bien élevés (ibid.). — Mais les gens bien élevés ne disent pas, Où est-ce que vous allez ? mais, Où allez-vous ? ce qui peut être aussi bien que l’ousque vous allez euphonique du peuple.

M. Génin affirme que, dans la poésie primitive, on admettait les mêmes élisions que dans la langue parlée de nos jours, et, à ce méchant propos, il rapproche de la Chanson de Roland un couplet de M. Scribe. Le texte d’Oxford, et généralement toutes les transcriptions faites en Angleterre ou en Italie, sont pourtant autant d’exceptions à la règle contraire. La poésie française, destinée à parcourir chacune de nos provinces, s’est toujours gardée d’une liberté qui aurait fort embarrassé les jongleurs, et qui les aurait exposés à soumettre les œuvres originales au compas de leur accentuation personnelle. Toutes les fois qu’un poëme abonde en vers mal mesurés et dans lesquels il faut admettre des élisions que l’orthographe n’a pas indiquées, on peut assurer que le poëme a été écrit par un scribe étranger. La leçon d’Oxford ne présente donc pas la forme originale de la versification française, mais l’exécrable prononciation anglaise dont on se moquait en France au douzième siècle, comme on le fait encore