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la mort des douze pairs ; en revanche, il alourdit son récit par l’intervention et la défaite de Baligant, sultan de Babylone. Mais les réviseurs ont ajouté aux premiers épisodes, ils ont supprimé le dernier, et c’est une preuve de goût dont il fallait leur savoir gré. Les beaux vers et les bons couplets empruntés à d’autres textes que celui d’Oxford et conservés par les réviseurs, sont d’ailleurs en trop grand nombre pour être cités ici.

Quelle était la mission des jongleurs du treizième siècle ? Conserver la mémoire des anciennes gestes, et les faire accepter de leurs contemporains, devenus plus délicats en fait de langage et de versification. Comme aujourd’hui nos acteurs, s’ils avaient à remettre à la scène la Farce de Pathelin, chargeraient un littérateur de revoir cette ancienne pièce, d’en adoucir les aspérités, d’en redresser les rimes et d’en faire disparaître les phrases surannées, les jongleurs du treizième siècle prièrent les trouvères de revoir les vieilles chansons, telles que Roncevaux, Guillaume d’Orange, Ogier le Danois, Antioche, etc., pour les mettre en état d’être encore chantées en public. Il n’y a là ni « goût immodéré de l’expansion, » ni « amplifications à la manière des rhétoriciens de collége. » Comparez aux rares couplets conservés de la Chanson d’Antioche primitive les couplets refaits par Graindor, vous avouerez que Graindor a rendu le plus grand service à ce beau monument historique, en le mettant à la portée des lecteurs de son temps. Ces lecteurs préféraient les rimes justes pour les yeux comme pour les oreilles aux brutales assonances des poëtes plus anciens ; ce n’était pas la faute de Graindor ou de Jean Bodel. Il fallait, ou se conformer au goût du temps, ou laisser oublier tous les premiers monuments de la grande poésie nationale.

Ce point suffisamment établi, voyons les autres assertions de M. Génin.

Il dit que notre manuscrit de Paris et celui de Lyon commencent, par un singulier hasard, au même endroit, c’est-à-dire au moment où Olivier reproche à Roland de n’avoir pas voulu sonner du cor. (P. cviii.) C’est une erreur. Le manuscrit de Paris commence au moment où l’armée s’ébranle pour retourner en France :

Quant Karlemanne a son ost devisée,
Vers douce France a sa voie tournée.