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Au jardin quand il fu saisy ?
Advis m’est que je le choisy.
Coupant l’oreille à mon cousin.


N’est-ce pas là ce que les pédants appelleraient vis comica ; et, par conséquent, une véritable beauté dramatique ?

La troisième journée nous a offert un tableau d’un tout autre genre, le repentir, le désespoir et la mort de Judas : scène admirablement composée par Gresban, mais ensuite retouchée et gâtée par Jean Michel. Vous n’avez pas oublié ce morceau de l’arrivée de Désespérance que Shakspeare aurait certainement envié ; la malédiction des Juifs sur eux-mêmes et sur leurs enfants, l’épisode de la femme de Pilate, les incertitudes si bien exprimées de ce juge prévaricateur ; les dernières paroles du bon larron. Tout cela compense un peu la fatigue que nous font éprouver les interminables plaisanteries des bourreaux autour de la divine victime.

Arnoul Gresban, tout en remontant aussi haut que possible, c’est-à-dire à la Salutation angélique, avait divisé son œuvre de vingt-sept mille vers, en trois journées. On joua l’ouvrage avec le plus grand succès dans toutes les villes de France et dans un assez grand nombre de communautés religieuses. Cependant on s’en lassa, comme on se lasse de tout, et vers 1480, un habile docteur, nommé Jean Michel, fut invité à le renouveler pour l’usage de messieurs les bourgeois d’Angers. Michel consentit à prendre cette charge difficile ; son travail de remaniement est le seul qui ait été imprimé et que les critiques aient eu jusqu’à présent le malheur de consulter. Il diffère dans plusieurs parties graves de l’œuvre originale. D’abord Mre Jean-Michel a eu le tort d’y introduire un assez grand nombre de paroles indécentes et de jeux de mots licencieux. S’il avait rendu seulement responsables de ces grossièretés les bourreaux de Jésus, on aurait un prétexte pour ne pas l’en blâmer trop sévèrement. Dans la bouche de pareils garnements, les excès de langage ne sont pas contagieux ; il en est de ce qu’ils disent comme des vilaines postures que les artistes prêtent souvent aux démons, à la porte de nos édifices sacrés. Mais les bergers eux-mêmes, si gracieusement et si purement naïfs sous la plume de Gresban, sont devenus des pâtres obscènes sous celle du scientifique docteur Jean Michel et ce travestissement est sans excuse. Il est vrai qu’à côté de vers qu’on voudrait raturer et dont la Critique a tiré tant de parti contre l’ancien théâtre, il en est d’autres que l’arrangeur a fort heureusement