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G. PARIS

fois il est arrivé qu’un récit fondé sur un événement réel a néanmoins emprunté plusieurs de ses traits à un récit antérieur analogue dans ses données essentielles[1].

La légende ainsi formée avait — on en comprend sans peine le motif — écarté des relations entre Bernard et l’impératrice tout soupçon d’amour, même platonique ; plus tard seulement, quand elle fut devenue pour ceux qui la racontaient un simple roman, s’y introduisit le délicat et pur élément d’un amour qui n’a rien que d’ennoblissant pour les deux âmes qui le ressentent ; toutefois, même dans cette version nouvelle, conformément à la légende originale, ce n’est pas avec le héros, comme il eût été naturel, c’est avec un autre personnage que

    récit en a été écrit une trentaine d’années au plus après l’événement. Mais il dut donner lieu de bonne heure à des compositions poétiques, car Paul Diacre, qui écrivait vers 780 son Historia Langobardorum, connaît le nom et l’histoire de Gundeberge, mais se trompe gravement sur son époque et le nom de son mari, et, dans son résumé de quelques lignes, diffère de Frédégaire sur des points importants : la reine est accusée d’adultère, c’est un serviteur à elle qui demande à la défendre, et il s’appelle Carellus. Ce nom, comme celui de Pitto, a l’air d’être un diminutif et d’indiquer un personnage de petite taille (voy. Child, loc. cit., p. 39). Il existait donc dans la poésie épique, antérieurement au ixe siècle, au moins un type sur lequel la légende de Bernard et Judith, même tout à fait contemporaine des événements réels, a pu se modeler.

  1. Il est très possible, comme P. Paris l’a jadis conjecturé, que la légende poétique de Roncevaux ait été influencée par le récit d’un désastre analogue arrivé, dans les gorges des Pyrénées, à une armée franque du temps de Dagobert. Les poèmes sur les guerres de Charlemagne contre les Saxons ont emprunté plusieurs de leurs traits caractéristiques à des poèmes plus anciens sur les guerres saxonnes des rois mérovingiens. Il semble bien aussi qu’une chanson de geste sur Louis IV et son combat contre un chef normand, bien que reposant sur un fait réel, ait été en partie modelée sur un poème antérieur relatif à la défaite des Normands, à Saucourt, par Louis III (voy. Ph. Lauer, Romania, t. XXVI, pp. 173–184, et cf. R. Zenker, Zeitschr. für rom. Philologie, t. XXIII, pp. 277–287). Le fait est très fréquent dans les chansons populaires ; ainsi la chanson de Malbrough s’appliquait originairement au duc François de Guise, et une chanson piémontaise sur la captivité de Louis XVI reproduit en partie une chanson sur la captivité de François Ier. L’histoire même qui nous occupe en offre un exemple curieux dans la transformation légendaire de l’aventure de la reine Marie de Brabant, femme de Philippe le Hardi, accusée d’avoir empoisonné son beau-fils (voy. à la Note additionnelle).