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ÉMILE AUGIER

une valeur négociable auprès du gouvernement. M. Poirier a des visées. M. Poirier aspire à la pairie. De sorte que, depuis M. Jourdain et Georges Dandin et autres, riches et savonnés vilains, la situation s’est fort modifiée, et que M. le marquis ne s’en est douté aucunement. Le bourgeois ambitieux et le noble besoigneux ont fait tous deux une affaire, dont le ridicule les éclabousse également. Émile Augier n’avait pas, en vérité, à prendre parti pour celui-ci ou celui-là ; et c’est le triomphe de la composition dramatique qu’une comédie ainsi conçue et départagée avec une spirituelle impartialité.

L’équilibre en est l’intérêt. C’est un jeu de bascule, qui tantôt donne l’avantage à Poirier et tantôt à son gendre, selon que l’élégante et coupable insouciance du blason, ou les calculs sournois du million l’emportent. Pendant tout le premier acte, Gaston est le plus fin exemplaire de l’aristocratie distinguée, inerte, et capricieuse. Poirier fait le gros dos autour du gentilhomme, qui a pour lui « des familiarités qu’il n’a pas pour tous les autres domestiques ». L’un tient la scène, mais, déjà, l’on sent que l’autre tient la corde, « Il faut, dit le parvenu, être coulant en affaires. » Le second acte est encore indivis. Gaston joue beau jeu ; mais Poirier a son plan de revanche. Le troisième consacre la victoire du beau-père, bien que le gendre se soit un instant joué de lui. Le quatrième enfin est à l’amour, qui remet l’un et l’autre à son plan et chaque chose à son niveau. Gaston aspire à faire le bonheur de sa femme et à devenir un époux digne d’elle ; Poirier rêve de faire le bonheur de son pays, et de lui donner un pair de France expérimenté. Cet équilibre ingénieux et discret apparaît encore dans la disposition des personnages. Tous les rôles sont doublés, comme pour adoucir les chocs. À côté de Poirier, Verdelet, un marchand de draps qui n’a pas tant aulne qu’il n’ait beaucoup lu, moins égoïste et plus doux ; derrière Gaston, le duc, un