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LE THÉATRE D’HIER.

surabondamment une communauté d’origine, suffiraient à me rassurer. Oui, Émile Augier avait découvert un filon fertile d’œuvres à haute portée et d’une morale générale. Quelques-unes ont passé pour des pièces politiques, et j’accorde qu’il y avait des gens intéressés à les qualifier ainsi. Il n’était pas jadis pour déplaire à la cabale que Tartufe parût la caricature immodeste de la dévotion. Mais une comédie qui n’est qu’un pamphlet, ne dure guère. Le Fils de Giboyer, Lions et Renards ont tenu bon : l’auteur nous en a exposé les raisons. « Quoi qu’on en ait dit, cette comédie n’est pas une pièce politique dans le sens courant du mot : c’est une pièce sociale. Elle n’attaque et ne défend que des idées, abstraction faite de toute forme de gouvernement[1]. » Car le réalisme et la politique sont pour lui de simples ressorts, des accessoires d’actualité, qui tendent l’intérêt de l’œuvre et précisent l’illusion de la vie. Mais sous de saisissants dehors s’agitent l’honneur, le bonheur, et l’intégrité de la famille ; au fond de tout cela, bouillonne une même colère clairvoyante et raisonnée contre les Vernouillet aussi dangereux que les d’Estrigaud, contre tous ceux qui ne rêvent que riches mariages et dressent leurs machines, contre les Saint-Agathe plus désintéressés, mais non moins perfides, et dont les sourdes et habiles menées, si le succès n’en était contrarié, auraient des effets désastreux pour la société tout entière. Place aux honnêtes gens, à eux seuls, si faire se peut, dans la famille comme dans l’État ! Qui donc nous disait que cette partie de l’œuvre d’Émile Augier manque d’unité ou d’actualité ?

Cependant il a écrit, à diverses époques, des pièces que ne suffiraient à expliquer ni la pure fantaisie, qui fut sa première manière, ni les droits de la famille qu’il a célébrés avec une opiniâtreté glorieuse. Celles-ci ont un air d’isolement, et semblent marquer dans sa

  1. Préface du Fils de Giboyer.