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ÉMILE AUGIER

mari, ni ténébreux, ni mystérieux, ni fatal, est le héros de cette pièce. Avec lui triomphe la réalité simple et aisée, qui ne manque ni de grandeur ni de poésie. Gabrielle renonce à ses illusions de roman, se débrouille de ses rêves et de ses lectures ; heureuse et désabusée, elle tend la main à cet honnête homme, dont le sentiment du devoir a fait un doux poète.

Ô père de famille, ô poète, je t’aime !

Ce vers si décrié, qui est le dénoûment de la pièce, en est en même temps la moralité ; et, par surcroît, il est le germe fécond du talent d’Émile Augier, et comme la synthèse de son théâtre.

Vu de cette hauteur, le développement de son œuvre dessine une trace lumineuse. Chacune de ses pièces complète cette morale et l’élargit insensiblement. Après avoir fait de la vie de famille le centre du véritable bonheur, il en étudie la constitution, qui est le mariage, depuis longtemps menacé par les préjugés ou les abus de notre société moderne. Après avoir en vers savoureux célébré la poésie de cette légale félicité, il en démêle les conditions, et à mesure qu’il observe avec plus de pénétration, il abandonne le vers pour la prose, qui creuse le sillon plus profondément. Le bon sens devient implacable et ne laisse plus que rarement place à la fantaisie. Il reprend un à un contre les indépendances de la passion ou du cœur les axiomes de la vieille sagesse des nations, dont il fortifie sa doctrine. Qu’est-ce que Ceinture dorée, sinon un plaidoyer pour l’honneur de la maison ? Le Gendre de M. Poirier, ou l’union mal assortie de noblesse et de fortune ? Un Beau Mariage ou de l’inégalité des conditions dans le mariage ? La Jeunesse (en vers, on sent pourquoi), ou ce qu’il faut avant tout y apporter et y chercher ? La Pierre de Touche, ou la richesse ne fait pas le bonheur ?

Si l’intérêt de la famille est l’inspiration première