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ÉMILE AUGIER

En 1861 il donna Les Effrontés à la Comédie-Française ; en 1862 Le fils de Giboyer. Bruyant et prolongé fut le succès de ces deux satires qui démasquaient, l′une l′intrusion des hommes d′affaires dans le journalisme, l′autre l′immixtion du cléricalisme en politique. Ce fut un déchaînement d’opinions contraires, également passionnées, qui font songer à l′époque la plus tourmentée de l′existence de Molière. Seulement Émile Augier, toujours heureux, jouissait des applaudissements immédiats et les recueillait sans retards forcés[1].

Il avait débuté par un coup de maître ; il s’arrêta sur une victoire, Les Fourchambault (1878), donnant ainsi tort au chœur antique, qui ne déclarait un homme parfaitement assuré contre l′adversité qu’après la mort. Et puis, il s’est reposé du succès par une retraite volontaire, enclin malgré lui, et par une sorte de prédestination, à parfaire dans un calme et loyal renoncement ce bonheur opiniâtre, auquel il était voué.

Un de ses amis raconte que Desbarolles, après avoir examiné sa main, y avait signalé l’absence du nœud d’ordre, et en avait conclu que le sujet tenait mal ses comptes. Le chiromancien, pour une fois se trompait. La vie d’Émile Augier fut ordonnée comme ses pièces, avec la même aisance et une égale raison. Le charlatan qui aurait tiré l′horoscope de Molière, lui aurait pu prédire, avec un peu d’adresse et de sagacité, qu’il serait irrégulier dans son existence et d’autant plus merveilleux par son esprit ; et si Émile Augier avait consulté la somnambule, avec un peu de lucidité elle lui eût pu répondre qu’il aurait l’esprit aussi équilibré que son bonheur. Il faut en prendre son parti : Émile Augier fut un bourgeois heureux.

  1. Vapereau, Dictionnaire universel des Contemporains, Émile Augier, p. 89.