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XL
INTRODUCTION.

terrain propice, se développent et se transforment avec le milieu qui les a vues éclore. Et notre théâtre moderne est aussi lapeinture de ces parallèles transformations. C’en est la gloire inquiétante.

A relever les faits, classer les espèces, déterminer les milieux, il s’est insensiblement écarté de l’idéal ; il a pris pour des idées toutes vives les abstractions de la thèse a priori ; et plus tard, il a tâché toujours davantage d’adapter à l’insensible brutalité de son objet ses moyens d’expression. Entraîné dans le courant d’un positivisme dévié de son vrai sens, il a incliné vers le réalisme au point d’en être absorbé, au prix de continuels sacrifices, et enfin aux dépens de la plus simple et vitale poésie, que la Nature prévoyante a déposée en nous, et qui est l’essence même de l’Art, étant la raison supérieure de la Réalité.

Un fait n’est rien en soi. Il n’a que la valeur d’un signe, et ne contient de la vérité que ce que l’intelligence et le cœur humains en expriment. Ce monde des faits n’a d’importance et de dignité que ce qu’il en emprunte de notre pensée. Il n’a de signification que par rapport à nous. Nous en sommes les infatigables créateurs. Dès qu’on s’obstine à chercher le réalisme au dehors, et seulement au dehors, à objectiver l’observation dramatique pour en accroître l’intensité et la vie, il est fatal qu’on en arrive à méconnaître l’homme intérieur et vrai, à prendre le signe pour l’objet, les apparences pour la réalité, à s’égarer en des fictions plus banales,