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LE THÉÂTRE D’HIER.

Car, à défaut d’imagination, M. Becque a une obsession, celle de Tartarin, le double muscle. Presque tous ses personnages sont forts, très forts, aussi forts qu’il est possible : viveurs, sceptiques, blasés, passionnés, tous au superlatif. Un peu d’invention les aiderait à se développer naturellement et par degrés, au lieu qu’ils s’exaltent et s’énervent en des accès imprévus. Ils ne se développent pas, en vérité, ils s’efforcent. Dès le second acte, ils en sont tous à la période aiguë : et ils font la théorie de leurs vices ou de leurs faiblesses, parce qu’il y a plus de cynisme, n’est-ce pas ? à être vicieux ou faible par . C’est la quintessence du réalisme. Lisez le rôle du comte de Rivailles[1], ce coq de caserne ; vous reconnaîtrez qu’en principe il était finement pris, en son exacte mesure, et qu’il se déforme à plaisir, dogmatiquement. Et celui d’Hélène, donc. — Savez-vous ce qu’une jeune fille moderne confie à sa mère, en tête à tête, du ton le plus naturel du monde ?

… « Je ne suis pas de ces jeunes filles qu’on est sans cesse à marier tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre, et qu’on jette imaginairement dans tous les bras. La pensée d’appartenir à de certains hommes me fait frissonner tout le corps… »

Elle a beaucoup réfléchi, comme vous voyez ; elle doit bien étonner et embarrasser sa maman ; c’est presque un outrage à l’innocence de la bonne dame, un peu neuve pour son enfant. — Voulez-vous connaître comment une Parisienne établit le bilan de son cœur et résume l’état de ses relations ?…

… « Tous ces jeunes gens d’aujourd’hui ne valent pas la peine qu’on s’occupe d’eux… C’est bien fait pour moi, j’avais ce qu’il me fallait, un ami excellent, un second mari, autant dire. Je l’ai malmené de toutes les manières, il en a assez, ça se comprend. »

Qui donc a dit que la raison n’est pas ce qui règle

  1. Michel Pauper.