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LE THÉÂTRE D’HIER.

et escamoter la vérité que de la produire en lambeaux et par brusques saillies ; et ceci veut être précisé.

Si la vie est matière de comédie, elle peut être, surtout pour les observateurs tels que M. Becque, une matière beaucoup moins abrupte et morcelée. C’est la marque d’un esprit étroit et d’une intelligence courte que de voir partout l’effet du hasard dans notre microcosme. Et si l’observation consiste à étudier les mœurs et les caractères, à cueillir les gestes et les mots révélateurs, elle ne suffit pas à les éclairer en leurs raisons plus profondes. Mœurs et caractères sont soumis à un déterminisme plus latent et enfoui, qu’il appartient au dramaturge de pénétrer et de recomposer. Il y a nombre de transitions ténues et d’une logique un peu flottante, entre nos différents états d’âme et nos humeurs diverses, à qui un rien donne le branle ; il y a sous le ridicule ou l’odieux une infinité de causes sourdes et de secrets mobiles, en partie saisissables, et dont la séquence est précisément l’explication des êtres odieux ou ridicules que nous sommes à tous les instants. Et c’est à l’imagination qu’il appartient de deviner, de reconstituer et de mettre en relief ces infimes détails d’une réalité intime et dérobée, qui doublent le prix de la vérité, ainsi rendue plus manifeste. Et je dis que cette préhension déliée des choses, que cette perspicacité imaginative donne plus de prix à la perception des travers apparents, ou plutôt qu’elle est elle-même une demi-perception, une demi-observation, une manière de seconde vue, qui réunit et lie fortement les moments épars du drame. Il ne s’agit, pour le théâtre de demain, ni de revenir aux intrigues laborieuses, ni d’abuser derechef des procédés arbitraires, ni de retourner au romanesque, mais d’assembler ce qui, au fond, n’est pas tant désuni, et de composer conformément à la vie elle-même, serrant les liens davantage, tirant au clair les transitions visibles pour quelques-uns