peut-être laissé un gage fâcheux ; qu’une jeune fille, douce et confiante, et de quelque éducation, fût-elle au désespoir, ne s’écriera jamais : « J’aimerais mieux être sa maîtresse que la femme d’un autre » ; que ce cri ne sert qu’à préparer l’insulte « fille perdue » ; et que décidément cela n’est plus de jeu, qu’il y a là-dessous plus de fanfaronnade que d’observation, et un réalisme de parade, ou, si vous préférez, moins de vérité que de… littérature.
Enfin, je m’explique pourquoi, avec toute la matière d’un chef-d’œuvre, le chef-d’œuvre n’est pas venu, pourquoi d’une pièce si originale ne subsistent que des impressions contradictoires et comme une oscillation, un peu douloureuse, du jugement ; et je commence à entrevoir avec quelque netteté la raison qui fait qu’en dépit de ses dons et de son grand talent, M. Becque, qui entreprend un vase de prix, pétrit l’argile, tourne, tourne la roue, et de ses doigts d’artiste laisse échapper un pot informe et laid.
V
LE RÉALISTE.
… « Ton ennemie, c’est ton imagination », dit madame de la Roseraye à sa fille Hélène.
M. Becque, après avoir trouvé ce mot, a eu le tort de se l’appiquer. Il n’a point d’imagination, et il s’est formellement interdit d’en avoir ; il s’est exercé, évertué, avec bien de la conscience, à en manquer ; et de cette lacune il a fait une théorie, tout son théâtre tendant à démontrer que l’imagination, au théâtre, est la pire ennemie. Or cette aptitude à renier une faculté absente, cette opiniâtreté à proscrire un don qui fait défaut, cela s’appelle désormais du nom de réalisme,