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HENRY BECQUE.

rapproche des oiseaux sinistres, qui flairent leur proie et annoncent le malheur dans une maison.

Et aussi le milieu, où s’exerce l’observation de l’auteur, est peint avec la même exactitude. Tout le premier acte est d’une vérité saisissante. Croyez que ce n’est pas un intérieur anonyme, où M. Becque nous fait pénétrer, mais bien l’appartement, le home d’un de ces grands industriels, partis de bas, en passe d’arriver très haut, en passe seulement, parce que n’ayant apporté dans l’affaire que leur intelligence et leur activité, il leur a fallu plus de temps pour ramasser le premier capital, qui est le noyau des immenses fortunes. Cela respire l’aisance, le bien-être un peu criard, parce qu’il est récent, un peu mesquin et de contrefaçon, parce qu’en dehors de la fabrique Vigneron n’a pas trop de ses fonds disponibles pour spéculer sur des terrains et précipiter l’accroissement de son avoir. C’est une aisance, qui n’est pas encore du luxe.

Non, cette famille n’est pas celle de tout le monde. Il faut y avoir été élevé, pour retrouver là une sensation juste de l’existence particulière aux industriels, qui, sans cesse occupés aux soins de leurs affaires, ont à peine le loisir de prendre pied chez eux, et y semblent toujours être de passage, en voyage, et nomades. Et comme ils y séjournent à peine, ils ouvrent volontiers les mains, ces manieurs d’argent, pour se faire pardonner l’absence, solliciter les sourires et retrouver des visages heureux. Dans ces maisons-là, les enfants sont ce que la mère les fait, le père n’ayant que juste le loisir de les gâter à son aise ; et il n’est pas rare qu’à cette famille, qui parait calme et heureuse, manque une direction que le chef ne peut pas, la femme ne sait pas donner. C’est une vie douce, large, et sans secousse, jusqu’au jour où, Vigneron mort, il ne reste plus que des esprits étonnés et des volontés molles, pour se défendre contre les corbeaux, qui sont les oiseaux du lendemain. Alors la mère affolée se désole d’avoir une résolution à prendre, le fils