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LE THÉÂTRE D’HIER.

ciaire en l’étude de M. Bourdon, notaire à Paris. Toute la pièce gravite autour du Grand-Livre. M. Vigneron, de la maison Teissier, Vigneron et Cie, meurt. On liquide. On commence, comme dit le tabellion, par les choses les plus urgentes ; on avance pas à pas ; et à la fin il reste ce qui reste : total, rien. Je ne crois pas qu’en aucune rencontre le théâtre contemporain ait serré la réalité de plus près, ni fait moins de concessions au roman.

« Ruinées, mon cher monsieur, ruinées la pauvre dame et ses demoiselles. Je ne vous dirai pas comment ça s’est fait. Mais on ne m’ôtera pas mon idée de la tête. Voyez vous, quand les hommes d’affaires arrivent derrière un mort, on peut bien dire : V’là les corbeaux ! »

Et d’abord j’observe qu’en un sujet si adroitement limité M. Becque ne se sert d’aucune fiction de théâtre, d’aucun colonel, ingénieur ou théoricien[1]. Ces fictions ne sont pas pour nous déplaire ; mais encore sont-ce des fictions. Il lui suffit de nous peindre les victimes et les bourreaux d’argent, et de suivre leurs opérations, d’où découlent des péripéties qu’il croit assez émouvantes. La liquidation faite, la pièce est jouée. Où il n’y a plus rien, le roi lui-même perd ses droits. L’agencement même de la pièce, pris en son ensemble, donne, sans effort apparent, l’impression de la plus simple réalité. Un premier acte, consacré à la vie intime des Vigneron, se termine sur la mort du père ; deux autres appartiennent aux affaires ; au quatrième la ruine est consommée, il est temps de se résoudre aux plus douloureux sacrifices. La distribution des personnages n’est pas plus compliquée. D’un côté les corbeaux, et de l’autre les malheureuses femmes, qui leur servent de pâture, tous réunis, non mêlés, dès le début, avec leur physionomie distincte, réunis, non sans un peu de cette gêne inséparable de

  1. V. Maître Guérin. Un beau mariage d’Émile Augier. La Question d’argent de M. Alexandre Dumas fils.