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LE THÉÂTRE D’HIER.

l’éloquence comique, qui éclaire d’un sourire la sombre et odieuse histoire de Michel Pauper, et en égaie le troisième acte par la harangue du conseiller municipal. Qu’il ne rougisse pas trop non plus de la fantaisie et des quiproquos, qui rappellent Labiche, et qui l’ont plus d’une fois, depuis, tiré d’embarras. Telle de ses comédies, les Honnêtes femmes, par exemple, serait mortelle, sans un de ces éclairs heureux, une de ces pages d’un comique irrésistible, qui entraine le reste, à propos. Un monsieur Lambert fait la cour à madame Chevallier, qui se fâche d’abord, et revient à lui plus séduisante et plus câline… Mais il faut citer.

J’étais sotte tout à l’heure… Je suis montée sur mes grands chevaux… On ne se fâche pas, parce qu’on lui a plu, avec un aimable garçon qu’on estime et qu’on apprécie soi-même. » — « Ça marche » — « Asseyez-vous. Poussez-vous un peu plus pour me faire une place. Plus loin ! Quel âge avez-vous » — « Trente ans. » — « Pas plus ? » — « Pas plus. » — « Trente ans. L’âge est bien. Votre santé est bonne ? » — « Excellente. » — « Vous ne me trompez pas ? » — « Je suis… très robuste. » — « Vous possédez… ? Je vous demande ce que vous possédez. Un chiffre exact. » — « Cent mille francs… et quelques petites choses. » — « Disons cent mille francs. En valeurs sûres et négociables ? » — « En valeurs sûres et négociables. » — « C’est bien. Je ne parle pas de votre tante. Ça viendra, quand ça viendra. Monsieur Lambert… je vous ai trouvé une femme. »

Il flairait une bonne fortune : c’était un piège-à-loups. L’esprit de M. Becque lui joue encore de ces tours, assez souvent, en tapinois, par un penchant original, et quand l’écrivain l’abandonne, le laisse aller, la bride sur le coup. C’est l’esprit de jeunesse, la verve de l’Enfant prodigue, le don de nature. C’est à lui qu’on doit la première scène de la Parisienne, scène de jalousie, inquiète, concentrée, conjugale, moralisante au plus haut point, d’où le ridicule jaillit soudain, par une brusque détente, d’un jet inattendu et suffoquant…

« Résistez, Clotilde, résistez ! En me restant fidèle, vous restez digne et honorable ; le jour où vous me tromperiez… » — « Prenez garde, voilà mon mari. »