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LE THÉÂTRE D’HIER.

tous les autres : la gaité. Son dialogue pétille de mots, qui sont naïvement drôles… »[1]. — Naïvement drôle, l’écrivain, qui depuis… ? Naïf, Michel Pauper ? Drôles, Les Corbeaux ? Voilà une prophétie, ou je m’abuse, et de délicieuse critique divinatoire. Et pourtant, il est très vrai que l’Enfant Prodigue est une pièce drôle, simplement, bonnement, à peu près vide de prétentions, mais pleine d’heureuse inexpérience, d’entrain, et surtout d’esprit.

Elle n’est pas complète ; le sujet en paraîtra mince et dispersé aux délicats, à la bonne heure. Mais elle est foncièrement spirituelle. Sans se mettre en frais d’invention, l’auteur va tranquillement aux scènes comiques : il les attrape d’intuition ; je vous dis que cela sent l’habileté instinctive, beaucoup plus que professionnelle, de Labiche. — Un bourgeois de province envoie son fils à Paris pour l’aguerrir contre les turpitudes, et le mettre en garde contre les revers de la fortune. Le départ, l’arrivée, la première liaison, et le dénouement, c’est au juste toute la pièce, agencée au petit bonheur (dont je n’ai cure, puisqu’il s’agit d’un débutant), et d’une verve tantôt épanouie et bouffonne, tantôt plus réservée et d’un pince-sans-rire.

Au premier tableau figure un personnel de petite ville, qui vous réjouit l’âme. Ils ne posent pas, les bonnes gens. Ils ne vous ont pas encore des airs d’être profondément observés et burinés. Ils sont comme ils sont, et ils sont de province, à coup sûr, et forment une colonie divertissante au possible : Théodore, l’Enfant prodigue, chérubin de canton, qui frôle sa domestique, et déclare qu’il les connaît, les femmes, et qu’il en a assez ; Bernardin, futur maire de Montélimart, bourgeois embourgeoisé, égoïste, ambitieux, pompeux, verbeux, et quelque peu gâteux ; Delaunay, le notaire, personnage officiel et marié, qui

  1. Feuilleton du Temps, Francisque Sarcey. 9 novembre 1868.