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HENRY BECQUE.

II

L’ESPRIT NATUREL.


C’est un souvenir de jeunesse que je veux vous raconter…

En 1868 — il y a vingt-deux ans de cela — M. Henry Becque faillit être gai. Il l’a échappé belle. C’était l’époque où, n’ayant encore ni renom, ni attitude, ni disciples, il débutait au théâtre avec les simples ressources de son talent naturel, qui était sincère et ardent, et celles de sa verve aisée et divertissante. Sa première comédie, l’Enfant Prodigue, était fort plaisante, et témoignait du premier coup que M. Becque avait de l’esprit, infiniment, et tant et tant, qu’il ne s’en est point guéri, et que, malgré tout, c’est une de ses qualités dominantes. Car il en a, du meilleur, non pas seulement de cet esprit de mots, qui fleurit et meurt sur le boulevard en l’espace d’une journée (beaucoup de sots, à Paris, sont nantis de cet esprit-là), mais du véritable, fantaisiste ou profond, inattendu ou bon enfant, de celui qui excelle à saisir les rapports des choses, qui les embrasse d’un mot, qui les fixe d’un trait, anomalies, contradictions, compromissions étranges ou comiques, de cet esprit enfin que Labiche a eu autant que personne, — mais pas beaucoup plus que M. Becque. Et c’est justement à Labiche que fait songer l’Enfant Prodigue, une comédie de jeunesse, de belle et bonne humeur jaillissante, et relevée de vérité simple, et agrémentée de gaité tout unie. Rien de plus curieux à lire que les feuilletons dramatiques d’alors, et les horoscopes qu’on y tirait du talent de M. Becque. — « … Ce jeune homme a reçu de la fée du théâtre ce don, qui tient lieu de