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LE THÉÂTRE D’HIER.

tout cela laisse assez calme, qui pratique sa religion comme il l’entend, se marie à l’église, s’il lui plait, et ne vient pas au théâtre pour y entendre une conférence contradictoire. Tant d’autres sont gratuites, où il se divertira plus sûrement ou s’instruira davantage.

La pièce eut à souffrir d’une erreur plus fâcheuse encore. L’auteur y est aux prises avec des idées graves, et qui valent, de part et d’autre, qu’on les traite avec quelque respect. Toute la fable de Daniel Rachat repose sur un quiproquo. C’est l’obsession du vaudeville qui le poursuit. Et quel quiproquo ! Un athée systématique s’éprend d’une Américaine, qui est une croyante résolue. Il la courtise pendant trois semaines, et l’épouse en Suisse, devant l’adjoint, à la vapeur, parce qu’il doit parler le surlendemain à la Chambre. Ira-t-on au temple ? Léa dit oui ; Daniel, non. Toute la pièce est à la merci d’une équivoque. « Pas d’église, pas de prêtre », avait déclaré Daniel. Dès le premier jour, J.-J. Weiss renversait d’une chiquenaude ce château de cartes.

« Il faut remarquer, disait-il, que le quiproquo d’église et de temple n’est pas plus possible grammaticalement qu’il ne l’est moralement. M. Sardou suppose que Daniel Rochat, avant le mariage, ayant dit : « Nous n’irons pas à l’église ». Léa a pu et dû croire que la question du mariage devant le pasteur restait intacte, parce que les lieux du culte chez les protestants s’appellent des temples et non des églises. Chez les protestants français, oui ; mais pas chez les protestants américains ou anglais ; ceux-ci disent church en leur langue ; et, quand ils parlent français, ils ne dirent pas comme leurs coreligionnaires du pays de France : « je vais au temple », ils disent : « je vais à l’église[1]. »

Et voilà donc une pièce de haute envergure, qui ne prétend à rien moins qu’à discuter sur la scène des idées considérables, et dont l’essentiel argument est une double erreur de mots, imputée aux personnages, imputable au seul M. Sardou. La restriction mentale s’aggrave

  1. J.-J. Weiss. Le Théâtre et les mœurs, 260.