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VICTORIEN SARDOU.

ayant gagné une entorse à sauter du haut des balcons amoureux. Une autre fois, le papier dénonciateur, léché par la flamme du foyer, semble un texte précieux, digne d’exercer la perspicacité des érudits[1].

      Mon bon petit ch…
  Attends-moi ce soir à la sortie de l’O…
 et n’oublie pas de m’apporter l’argent pour mon sac…
…issier.

Paq…

Et c’est un plaisir à peu près complet et très distingué que de voir tout le parti qu’un homme compétent et méthodique peut tirer de ce suggestif et fragmentaire manuscrit. À mesure que l’auteur avance dans sa carrière, sa fantaisie multiplie les trouvailles de ce genre. Elle prodigue l’imprévu, elle abonde en trucs proprement délectables. Elle est d’une gaîté qui saute aux yeux d’abord. Un clou chasse l’autre, si je puis ainsi dire dans l’argot du théâtre. Rappelez-vous Nos Intimes. Une souche de dahlia tombe dans un jardin : voilà la guerre allumée. Puis, c’est la fleur du cactus, le feuilleton du journal, le cigare de Raphaël, le flacon bouché à l’émeri, et le renard, et tout ce que j’oublie, citant de mémoire. La désopilante imagination de Labiche ne s’entendait pas mieux à donner ainsi une traduction immédiate et sensible d’une situation ridicule.

Personne encore, mieux que M. Sardou, ne sait à l’aide d’un bibelot, d’un ustensile, d’un accessoire, souligner le mouvement même de la scène et en doubler le plaisir. Je note, parmi beaucoup d’autres, celle des Femmes fortes, où Claire fait sa malle sous les yeux de Jonathan qui voudrait bien la retenir. C’est un délice que ce manège de séduisante et tout à fait domestique coquetterie d’une Andromaque, petite bonne femme, qui sauve les siens en manipulant collerettes et camisoles, et par les soins qu’elle apporte à préparer cette malle,

  1. Cinquième acte de Séraphine.