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VICTORIEN SARDOU.

mettre en hasard ces foncières et unanimes vertus.

À peine goûtent-elles en ces aventures l’agrément de la surprise ; à peine éprouvent-elles une secrète joie, pas du tout scélérate, à frôler le danger. Il approche ; elle sourit. Pardonnez-lui, Seigneur, car elle va beaucoup pécher. D’ennui en ennui, de flirt en flirt, de situation en situation, l’auteur l’amène à deux doigts de la suprême péripétie. Dans la salle, les hommes ressentent une petite secousse de réalisme, et les femmes un imperceptible tressaillement de scandale. Plusieurs ferment les yeux à demi pour ne presque rien voir de l’irréparable convulsion. Oh ! ces maisons neuves !… Spectateur, mon ami, vous êtes un niais, qui ne connaissez point M. Sardou ni l’état qu’il fait de l’honneur de la femme moderne.

  … Laissez-le faire ;
Il vous en donnera de toutes les façons.


Oui, le gentilhomme au bouquet, qui s’est déclaré, qui est attendu, voici qu’il enjambe le balcon, qu’il pénètre dans la chambre, dans la chambre de Madame, de Madame coquette, bouleversée, imprudente. Quelle situation ! Mais ne voyez-vous pas que le gentilhomme est ivre, que Roméo s’est grisé pendant l’entr’acte, et que Madame se retrouve avec toute son honnêteté, et qu’elle tue le manant ? Enfin elle a un caractère. Eh ! non ; il semblait, on croyait, elle pensait l’avoir tué. Ne pleurez point. Il n’est plus mort, elle n’est plus coquette, plus ennuyée, plus hésitante, et plus moderne ; elle rentre dans la vieille maison de son vieux père, où assise au vieux comptoir, elle donnera l’exemple de toutes les vieilles vertus, domestiques, commerciales et autres. Qui aurait craint le contraire, se serait trompé ; et qui s’entêterait dans cette crainte, serait aveugle. Elle est passive ; elle n a ni caractère, ni volonté, ni tempérament, ni individualité, mais seulement une remarquable aptitude à s’acclimater dans les divers mi-