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LE THÉÂTRE D’HIER.

ne vois debout que l’éternelle bonté de la femme, qui me semble grandie de tout l’écroulement du reste… »[1].

Et ainsi soit-il ! Non, M. Sardou n’est pas un naïf. Il est même assez adroit. Il se connaît ; il sait ce que son talent peut faire ; il se doute de ce qu’il ne fait point. Cet optimisme est d’une louange délicate, et venge les pauvres femmes. Car leur fonction, à elles, est d’être excellentes : elles le sont. Est-ce leur faute, si les situations où elles se trouvent engagées pendant cinq actes et trois heures d’horloge, leur donnent l’apparence d’être tout le contraire de ce qu’elles sont réellement ? Leur malice, fantaisie ! Leur faiblesse, imagination ! Et il faut convenir, en effet, qu’ici l’observation serait même dommageable à l’intérêt dramatique. On ne songe point sans effroi à ce qui pourrait advenir, si Marthe, la femme de Didier, avait un caractère. Elle n’en a point, au surplus, et cela est mieux ainsi. Elle a des toilettes, comme toutes les femmes ; elle s’ennuie, mais toutes les femmes s’ennuient ; c’est le ragoût de leur bonté. Au demeurant, elle ne s’ennuie ni plus ni moins que madame Caussade, ou madame la baronne, et leurs compagnes, qui sont en l’état de mariage. Seule, madame Benoiton ne s’ennuie pas. On dirait que Marthe va prendre son parti d’être sortie, à l’instar de sa mère. Mais on en dirait autant des autres ; rien n’est trompeur comme l’apparence. On dirait que M. Champrosé a été son amant ; et l’on médirait, puisqu’il s’est contenté de lui prêter de l’argent, qu’elle lui a remboursé d’ailleurs, sans intérêts. On croirait que Fernande est une fille, et c’est la meilleure nature que je connaisse. Seulement, elles sont toutes prises dans un engrenage de situations romanesques, qui égarent et troublent le jugement des hommes : le drame est à ce prix. C’est la fantaisie de l’auteur, qui s’emploie, qui se travaille, qui invente mille moyens scéniques pour

  1. Préface de la Haine.