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LE THÉÂTRE D’HIER.

extraire de belles scènes de mélodrame. Au fond, l’amour est un je ne sais quoi d’aventureux et aveugle, qui va et qui vient, dont on n’est jamais sûr et pas même très conscient. Mme Caussade[1], après avoir usé les ennuis de la villégiature en un flirt assez vif, et cherché quelques distractions dans le rôle presque maternel d’une sœur de charité compatissante et tendre, entrevoit l’état de son cœur, juste à temps pour faire sa retraite, — et s’orienter vers le cinquième acte.

« Depuis ce matin, j’ai la fièvre, je ne vis plus… Mais ce que je sens bien, c’est que ce n’est pas là le bonheur… Après tout, il est encore temps ! Je n’ai fait qu’un pas, un seul, et je peux bien reculer, si je veux… Ah ! je ne sais ce que c’était, de l’amour, de la haine, peut-être tous les deux… »

Quand elle aura définitivement opté entre ces deux sentiments, le sort de la pièce sera décidé : comédie ou drame ? La fantaisie de l’auteur prononcera.

À pousser un peu plus avant l’analyse, on découvrirait enfin que l’amour n’est qu’une demi-conscience, flottante et vague, de la séduction qu’exerce sur un jeune homme la femme de la maison. Laquelle ? That is the question. Le cœur humain est fertile en surprises très commodes pour tenir l’intérét dramatique en suspens. Prosper poursuit Clarisse de ses assiduités ; il aura bien de l’étonnement, lorsqu’il s’apercevra que son âme aspirait sournoisement à un autre objet. Le fils de M. Morisson a depuis des mois dressé ses machines pour investir le cœur de la baronne ; il le croit ainsi et nous pareillement ; mais il faut en finir, et s’aviser, vers le détour du troisième acte, qu’il en veut en réalité à la main de Geneviève, et qu’il n’aimait l’autre que par ricochet[2] : tant il est vrai que l’amour est une passion ondoyante et complexe, dont le moi moderne se débrouille malaisément, et qui donne au psychologue de

  1. Nos Intimes.
  2. Nos bons villageois.