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LE THÉÂTRE D’HIER.

monte au joli jeu de l’oie, et la poésie archaïque du quadrille, dont les premiers accents ont réjoui le berceau des races par la symphonique ébauche de la Marche des Rois. Non, on ne saura jamais tout ce qu’il y a d’art transposé dans la Belle Hélène.

…« Hélène, dit le bon Homère, le couvre d’un voile brillant, et sort du palais en versant quelques larmes. Elle n’était point seule ; deux femmes la suivaient : Ethra, fille de Pitthée, et la belle Clymène. Bientôt elles arrivèrent aux portes Scées. Priam, Panthoüs, Tymétès, Lampus, Clytius, Hicétaon, rejetons du dieu Mars, le prudent Ucalégon, et le sage Anténor, tous anciens du peuple, étaient assis au-dessus des portes Scées. La vieillesse les éloignait des combats ; mais, pleins de sagesse, ils discouraient, semblables à des cigales, qui, sur la cime d’un arbre, font retentir la forêt de leurs voix mélodieuses ; ainsi les chefs des Troyens étaient assis au sommet de la tour. Quand ils virent approcher Hélène, ils dirent entre eux, à voix basse : « Ce n’est pas sans raison que les Troyens valeureux supportent pour une telle femme de si longues souffrances : elle ressemble tout à fait aux déesses immortelles ; mais, malgré sa beauté, qu’elle retourne sur les vaisseaux des Grecs, de peur qu’elle n’entraîne notre ruine et celle de nos enfants. »

Et Priam, élevant la voix, appelle Hélène près de lui : « Approche, ô ma chère enfant ; viens t’asseoir a mes côtés, afin que tu reconnaisses ton premier époux, tes amis et tes parents : ce n’est point toi, ce sont les dieux qui furent la cause de nos maux, et suscitèrent cette guerre, source de tant de larmes… »

Hélène lui répond en ces mots, Hélène, la plus belle des femmes : « Je suis honteuse et craintive devant vous, ô mon noble père. Plût aux dieux que j’eusse reçu la mort, le jour où je suivis votre fils, lorsque j’abandonnai le palais de mon époux, mes parents, ma fille chérie, et les aimables compagnes de ma jeunesse… »[1].


Ainsi parlait Hélène, et les vieillards de contempler avec tremblement l’idéale beauté, qu’ils n’ont pas le courage de maudire. Et le vieux Priam, dont les fils tombent dans la mêlée, trouve malgré l’amertume de son cœur, quelques paroles douces comme le miel pour cette femme radieuse et désolée. Et ç’a été, je pense, une époque unique dans l’épopée humaine que la naissance de cette peuplade grecque, si prodigieusement

  1. Iliade, ch. iii.