Page:Parigot - Le Théâtre d’hier, 1893.djvu/371

Cette page a été validée par deux contributeurs.
311
EUGÈNE LABICHE.

indispensable, qui en était absente. Elle est lourde, bien qu’habilement construite ; ennuyeuse, encore que pleine d’esprit ; elle contient des scènes déjà vues, ne fût-ce que dans Molière, d’une imitation presque gauche, et d’autres scènes, qui sont de premier ordre ; elle est constellée de mots heureux, que la charge gâte à tout moment. Mais surtout, dès que l’auteur s’applique à l’étude de ce sentiment subtil et humain, qui est l’égoïsme, il nous donne le plus fâcheux régal de mauvais goût et de coq-à-l’âne inconscient. Il faut citer, même avec quelque ennui de mettre en pleine lumière l’erreur ou l’impuissance d’un homme, d’ailleurs si étonnamment doué. Qu’est-ce que l’égoïsme ? Qu’est-ce que le moi ? Lisez, disciples de Stendhal, et soyez édifiés…

« C’est un composé de tous les organes qui peuvent m’apporter une jouissance… C’est ma bouche, quand elle savoure une truffe moelleuse, mes yeux, lorsqu’ils se reposent sur une jolie femme, mon oreille, quand elle m’apporte l’écho d’une musique digestive et peu savante… Le cœur n’est pas de la maison… C’est un invité, un noble étranger, qu’il est impossible de jeter à la porte, malheureusement… mais qu’il faut rigoureusement surveiller, sans quoi il nous ôte le pain de la bouche, et jette, par toutes les fenêtres, notre argenterie aux passants (que de métaphores ! et ce n’est pas tout). » — « Alors, si je vous comprends bien, vous faites de l’homme, de l’individu, une espèce de fort blindé et cuirassé (oh ! oh !) sur la porte duquel vous écrivez : Moi, moi seul ! Eh bien ! nous autres marins, c’est d’un autre œil que nous voyons les choses. Vous dites : moi ; nous disons : nous. De tous nos organes — je prends votre mot (nous n’y tenions pas absolument), celui que nous estimons le plus, c’est le cœur !… Et ce n’est pas un hôte que nous surveillons (bon ! il prend aussi l’image), mais un maître auquel nous sommes fiers d’obéir (tremolo à l’orchestre, — crescendo)… C’est ce maître qui nous enseigne la religion du dévouement, qui nous dit que Dieu ne nous a créés faibles que pour nous forcer à nous rapprocher, à nous aimer, à nous secourir… Les sauvages, les sauvages eux-mêmes (une page des Incas ? ou le supplément au Voyage de Bougainville ?) ont la conscience de cette solidarité humaine… Oui, jugez-en !… C’est au milieu d’eux que nous avons été débarqués, mon cher malade et moi… Accueillis d’abord avec défiance (comme dans tous les hôpitaux), quand ils virent que l’un de nous souffrait, poussés par la sainte loi