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ÉDOUARD PAILLERON.

V

L’ÉCRIVAIN.


Vous rappelez-vous un des mots les plus heureux du Monde où l’on s’ennuie ? — « Quel est l’esprit de votre département, mon cher sous-préfet ? » — « Mon Dieu, général, son esprit, je vais vous dire… il n’en a pas. » M. Pailleron, qui a beaucoup d’esprit, n’a pas de style, ou mieux, il est parvenu à n’en pas avoir. Sauf erreur, il me semble qu’il y a dans son œuvre dramatique deux époques très distinctes : une première, où il a été le brillant disciple des maîtres, et l’autre, où il a enfin trouvé sa voie et perdu son style.

Tant qu’il s’est tenu aux heureuses imitations, aux ingénieuses charades, aux ressouvenirs agréablement renouvelés, il avait du style, et du plus fin, d’une veine très française, avec d’artificieuses nonchalances relevées de verve, pétillantes de fantaisie, et plutôt un peu trop qu’un peu moins écrites, à mon sentiment. Il possédait l’art des quiproquos, des phrases embrouillées et symétriques, à la façon de Beaumarchais ; il avait le trait acéré, la plume malicieuse ; il exécutait la tirade, comme personne, avec, déjà, quelque chose d’aisé et d’inachevé, que plusieurs ont pris pour une marque de négligence ou d’accommodante résignation. En vérité, c’était son originalité qui se faisait jour. De cette veine l’inspiration la plus coquette, le morceau le plus friand, le prolongement le plus spirituel est le Chevalier Trumeau. Mais déjà, et même auparavant, son talent s’était mûri et dépouillé, comme les vins de fine qualité.

Il a surtout excellé à faire parler le monde moderne, particulièrement les femmes, et parmi celles-ci les