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ÉDOUARD PAILLERON.

cette imagination raisonne. Elle distingue parfaitement que Max n’est plus un jeune homme, et qu’elle est trop fillette pour être remarquée de lui, et qu’on n’a que l’âge qu’on parait, ou celui qu’on se donne ; et de scène en scène elle prend des années, par d’innocents mensonges, qui lui seront pardonnés au ciel, qui sont sa manière, à elle, d’exalter l’humilité, et de se rapprocher de celui qu’elle aime. Car elle l’aime ; et ce n’est pas tout décidément, puisque le reste n’était que préliminaires, et que, cette fois, le rôle commence. Et il est d’une naïveté qui étonne Max, d’une sensibilité qui l’attendrit, d’une coquetterie ingénue et subtile qui le déroute, avec des audaces timides, et des accents de fierté rentrée qui lui dessillent enfin les yeux. Et elle s’épanche, et elle pleure, et elle sourit, tour à tour enfant et femme, et les deux ensemble, au hasard, comme dans la vie. « Ces petites filles, c’est si amusant ! Elles rougissent, elles pâlissent ; on voit l’âme au travers. »

Mais, en réalité, cette transparence est une illusion, produite par la fine observation et le souple talent de l’écrivain. M. Pailleron a étudié ce caractère jusque dans ses sentiments les plus intimes et les plus confus, jusque dans les détails les plus enfouis de cette psychologie vague et complexe ; il s’oriente dans les secrets replis de cette âme virginale, et, selon le mot de Madame de Sévigné, y cherche la vérité avec une lanterne, dont la tendre lumière se répand en rayons discrets. Un souvenir d’enfant, la vision d’une mère mourante, et, parmi les étouffements d’une voix toujours plus faible, ces deux mots plusieurs fois répétés : « Pauvre petite ! » une impression ineffaçable a penché son front, et l’a marqué d’un pli rêveur. La solitude du couvent, la bonté froide des religieuses, l’indifférence brutale de la belle-mère ont changé sa tristesse en timidité. Il faut voir de quel tact M. Pailleron effleure ce sentiment si délicat, qu’il semble qu’on n’y saurait toucher sans le flétrir.