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ÉDOUARD PAILLERON.

succèdent au cœur de Suzanne avec volubilité, par giboulées. « Elle chante, elle boude, elle rougit, elle pâlit, elle pleure », et, avec cela, elle a ses nerfs, et elle a aussi de la volonté, et enfin, et par surcroit, elle est jalouse : ce qui signifie qu’elle passe par tous les sentiments de la femme, un peu plus vite, avec moins d’effort et plus d’éclats, cette gamine, qui, hier encore, portait des robes courtes, et sautait sur les genoux de son tuteur en l’appelant papa. Il y a plus. Car au fond, elle est triste, triste d’une tare originelle, qu’elle comprend mal, en même temps qu’elle est étrangement expansive, grâce à une éducation très libre, qu’elle a reçue d’un père assez bon et étourdi. Elle est enfin la petite personne la plus en dehors, la plus renfermée, la plus gaie, la plus mélancolique, la plus folle, la plus perspicace, la plus étonnante, la plus indéfinissable, et encore, si vous le voulez bien, la plus moderne qu’il y ait au théâtre. « Tu sais, mon piano, dit-elle à son tuteur, l’horrible piano… Eh bien, je joue du Schumann, maintenant. C’est raide, hein ? » Croyez que je n’y ajoute rien pour le plaisir de l’analyse, que tout cela est en elle, et que pour l’exprimer M. Pailleron a trouvé des signes, des gestes, des mots, toute une notation qui passe du doux au grave, des rires aux larmes, jusqu’à une sensibilité tempérée, dont il ménage les effets comme personne.

« Oh ! je sais bien qu’il y a quelque chose contre moi, allez… et il y a longtemps ! » — « Qu’est-ce qui t’a dit ? » — « Oh ! personne… les gens qui vous regardent, qui se taisent, qui chuchotent quand vous entrez… qui vous embrassent, qui vous appellent : « Pauvre petite ! » (Il reprendra ce trait)… Si vous croyez que les enfants ne sentent pas cela ! Et au couvent, donc ! Je voyais bien que je n’étais pas comme les autres, allez !… Ah ! si, je le voyais !… »


Voyez-vous aussi, que tout y est, indiqué sans empâtement, tantôt par touches légères et juxtaposées, tantôt ramassé en un seul mouvement, comme ici, vers la fin de