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ÉDOUARD PAILLERON.

beaux cavaliers de Gyp, qui n’ont qu’un mot : « Je vous adore », m’ont tout l’air de simplifier à l’excès le fond de la langue. M. Pailleron a l’esprit de n’être pas si désolant. C’est le trait commun à toutes les scènes analogues de son théâtre, que la nature a raison de l’artifice, et qu’une pointe de sentiment suffit à réveiller les cœurs que la mode, l’étiquette ou le bel air ont endormis. Aux grandes phrases des virtuoses il oppose, sans déclamation ni sensiblerie, la douce mélodie de l’âme qui chante ou qui pleure, par un besoin de nature, et qui exhale sa jeunesse un peu attristée parmi ces esprits forts et ces cœurs tacticiens, qui évoluent comme à la parade. « Oh ! je la connais, allez, ma vie, et depuis longtemps, depuis le jour où ma mère est morte… Pauvre petite »[1] ! Dans toutes les grandes pièces de M. Pailleron il y a un morceau de ce genre, d’une touche aussi légère, d’une poésie à peine indiquée, d’une sensibilité contenue, qui à l’amour habillé de formules, à la passion teintée de scepticisme, aux travers les plus neufs, les plus mondains, les plus raffinés, les plus ridicules oppose sans éclat le contraste d’un cœur simple, réservé, et à la mode changeante l’éternelle jeunesse. Molière aussi se plaisait à ces échappées de sentiment.

À deux reprises, M. Pailleron a voulu sortir de son milieu, et entrer dans les grands courants du vice. Il faut reconnaître qu’alors il a forcé sa nature, sinon son talent, et qu’Hélène, tragédie bourgeoise, et aussi les Faux ménages, ont d’autres défauts que celui de rappeler Gabrielle et la Dame aux Camélias. Bon gré mal gré, on ne peut que souscrire à la critique de J.-J. Weiss, et en retenir, quoi qu’on en ait : « que l’auteur n’est point à l’aise avec les mœurs vicieuses, qu’il n’est pas plus fait pour prendre en leur exacte mesure les dérèglements que les fougues sublimes, et que sa main si adroite

  1. La Souris.