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ÉDOUARD PAILLERON.

personnages s’entretiennent, par intervalles, pour ne gêner pas la causerie du groupe voisin, soit que tous parlent à la fois, et que les mots d’esprit semblent monter des dessous du théâtre, soit enfin que, par un procédé aussi commun et choquant, il y ait tout près de la rampe un truchement, qui fait par tirades les honneurs de la soirée, discourant sur les mœurs et les caractères des gens qu’il présente, à la façon dont le manager montre ses bêtes. Ou se lasse vite de la collection et du boniment. M. Pailleron y met plus de formes. Il a écrit deux ou trois scènes, où il donne vraiment l’impression du monde, malgré le nombre des personnages, qui parlent à leur tour et à propos. À peine le premier acte est-il quelquefois surchargé, un peu long sans longueurs ; on ne se résignerait à en rien perdre, mais encore en voudrait-on retrancher quelque chose. À cette réserve près, la mise à la scène est d’une habileté subtile, preste, harmonieuse, et assez sobre pour donner aux grandes pièces de l’auteur un air de modernité classique. Voilà bien des qualités séduisantes.

Et je crains que la renommée, qui l’a traité en mère passionnée, ne lui ait été injuste par quelque endroit et ne l’ait un peu jugé à fleur d’originalité. Peut-être, après tout, a-t-il le tort d’être original avec trop de discrétion, et de voiler d’un art trop spirituel ce qu’il y a de plus neuf dans son théâtre. Il a été frappé de la façon très nouvelle, dont se noue aujourd’hui l’intrigue dans le monde, et du scepticisme à la mode dont s’y assaisonne la galanterie. Pendant longtemps, hier encore, la comédie a vécu sur la déclaration classique, à grand renfort de douceurs, à beaux souvenirs du répertoire. Avec plus d’éclat lyrique dans le drame, plus d’abandon sentimental dans le mélodrame, des gestes expressifs, des cris rencontrés : on en était encore à la tirade cent fois refaite de Molière. Les personnages de M. Alexandre Dumas (ils sont les premiers qui aient nettement rompu avec ces traditions d’un autre