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LE THÉÂTRE D’HIER.

et de cocardes ? Interrogez Lahirel, qui l’a rencontrée à Madrid, où elle battait son plein. Desaubiers, qui l’a connue à Milan, où elle faisait fureur ; demandez, plutôt au général, qui a ponté pour elle à Bade, ou à Fondreton, qui se ruine pour elle à Asnières. De Sauves, aussi, vous dira qu’on soupe chez elle, assez tard, sur la présentation d’un ami, qu’elle est de toutes les fêtes, de tous les galas, de tous les pesages, dont elle raffole après une exécution à la Roquette. Pour être de sa suite, il suffit d’être prodigue, infatigable, et gai, comme elle. Mariée ? Probablement. Et le mari ? Il reviendra. En attendant, elle adore le bruit, le remue-ménage, les fous rires, et les fous qui rient, et plus ils sont nombreux, plus elle est en fête. Elle n’est pas dans le train, celle-là, elle est dans le rapide, comme dit M. Pailleron. Heureusement, chaque capitale n’en possède-t-elle que deux ou trois à la fois, emportées comme elle dans une vie à la vapeur, et qui, si elles se rencontraient, feraient sauter le monde. C’est une course endiablée, où les moins vigoureux sont fourbus avant de toucher le but, attirés, fascinés, tout de même que ces petits oiseaux de la plaine, qui s’élancent à tire d’ailes, durant des journées entières, dans le sillage sublime et vite de l’aigle et du vautour. Avec ses allures de viveur et son langage de fille, elle vous bouleversera les meilleures éducations en un tournemain, armée d’un sourire énigmatique pour les hommes, amer et dédaigneux pour les femmes, qu’elle traîne après soi de conserve, ceux-là entêtés, jusqu’à la migraine ou la folie, de son énervante séduction, celles-ci rivalisant d audace et souvent de scandale pour lui disputer le bonheur ravi et la famille qui s’en va. C’est tout bonnement le germe d’un mal, qui entame les mœurs françaises et les désorganise.

Les gens de lettres offrent un danger moindre et un peu différent, qui est pourtant très réel. L’influence qu’ils exercent sur certains salons se réduit d’abord à