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ALEXANDRE DUMAS FILS.


C’est proprement le style qui procède de l’observation ; il est d’une clarté immédiate et grossissante, comme celle de la rampe ; il est une nécessité du regard et de la vision, qui échappe en partie à l’analyse. M. Dumas braque son œil sur l’idée en scène, à travers le stéréoscope du théâtre, et même il ne l’exprime avec force qu’à la condition de l’avoir objectivée ainsi.

Semblables aux Notions abstraites, dont nous disions plus haut qu’elles deviennent dans son œuvre des personnages véritables et qu’elles en tiennent les premiers rôles, impressions, sentiments prennent leur forme théâtrale, s’animent, respirent, marchent, vivent. S’agit-il d’une liaison éphémère ?

« C’est une belle fille rieuse et folle, sans souci du lendemain, courant gaîment sous les bois, son chapeau d’une main, son ombrelle de l’autre, se retournant de temps en temps avec un baiser sur les lèvres, et vous disant, six mois après, quand on la rencontre au bras d’un autre : « C’est égal, je t’aimais bien. »


L’idée s’est faite femme, sous la lueur du lustre. D’ailleurs la lumière se règle au gré de l’auteur et selon les besoins du théâtre ; elle éclate et se tamise ; aux notes vives s’opposent les teintes vaporeuses ; mais les contours sont toujours arrêtés, grâce à cette vision particulière des objets.

« …Il y a des airs qui sont comme les échelons du souvenir, et à l’aide desquels nous redescendons dans notre passé le plus obscur. Tenez, il est un refrain que je ne puis me rappeler sans une véritable émotion, c’est Ma bonne tante Marguerite, vous n’entendez rien à l’amour. Quand ce refrain traverse ma mémoire ou quand je l’entends par hasard, il recompose à l’instant tout un tableau devant mes yeux. C’était la chanson favorite de ma grand’mère… Il me semble encore la voir, l’hiver, au coin d’un grand feu, avec ses beaux cheveux blancs, dont elle faisait coquettement deux rouleaux, sous son bonnet à larges rubans clairs. Tout était gai en elle. Je m’asseyais à ses pieds sur un coussin ; je posais ma tête sur ses genoux, et je m’endormais bercée par cette mélodie chantée à demi-voix. Pendant quelque temps, la conversation des grandes personnes, de mon père, de ma mère, de