Page:Parigot - Le Théâtre d’hier, 1893.djvu/290

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
230
LE THÉATRE D’HIER.

point compris, les vagues aspirations et les aveux si éthérés qu’on ne les entend plus, et tout ce qu’elle contient de mysticisme flottant, de dévotion subtile, d’épurée et inintelligible passion. Ils auraient assez fait déjà, si, appelant à soi toute l’autorité, ils avaient supprimé ce rôle de Rebecca, qui ne vit point, et dont les germaniques rêveries s’épandent à perte de vue dans les frises. Ils auraient fait davantage, dût l’amour-propre de l’idéaliste chrétien en saigner, s’ils avaient bravement mis les ciseaux en certaines tirades, d’une poésie musicante et symbolique, verbiage volatil et sans consistance…

« Mais si je ne suis pas votre femme dans le temps, je sais que je la dois être dans l’éternité. Quand la mort nous aura dégagés, vous des liens, moi des soumissions terrestres, vous me trouverez, fiancée patiente et immatérielle, vous attendant au seuil de ce qu’on appelle l’Inconnu, et nous nous unirons dans l’Infini. Ma religion n’autorise pas de pareilles espérances ; mon cœur la dépasse, et je sais que cela sera ainsi… Cette femme, vous l’avez aimée ; vous l’aimez peut-être encore malgré vous : voilà pourquoi vous ne me verrez plus jamais à cette heure. Fussiez-vous libre demain, je ne viendrais pas à vous, et je ne vous laisserais pas venir à moi ; mon royaume n’est plus de ce monde ; je suis l’épouse de la seconde vie. Travaillez, soyez grand, soyez utile, soyez glorifié ; je vous attends au delà de ce qui passe dans ce qui ne passera jamais. »


— Ainsi parle en aparté, au milieu d’un salon moderne, Rebecca, fille de Daniel, l’immatérielle juive ; cependant Césarine, femme de Claude, accompagne en sourdine, sur le piano, cette phraséologie métaphysique de la vierge éperdue dans l’au-delà, et en qui il n’y a plus rien d’humain ni de féminin qu’un imperceptible penchant à prendre des poses, et je ne sais quelle secrète tendance à s’écouter sans déplaisir.

Et, si cette contrariété du génie de M. Dumas n’apparaissait pas encore assez, il suffirait de voir combien chèrement l’a payée l’écrivain. Ni la sobriété ni le sens littéraire ne rachètent ces dogmatiques défail-