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LE THÉATRE D’HIER.

libre de l’œuvre, et à faire parfois aux personnages raisonneurs la place si grande, qu’ils absorbent tout, même l’intérêt dramatique, qui s’évapore avec la fumée de leurs arguments. Tels les choristes d’opéra-comique attendant leur tour, les types de l’observation, qui incarnent nos mœurs, nos travers et nos ridicules, se retirent effarés au second plan, sous l’œil hautain de l’orateur. Et comme l’orateur et l’auteur ne sont qu’un, il se produit ce phénomène étrange, que celui-ci intervient perpétuellement sur la scène, rompt le charme, et coupe court à l’imagination. On voudrait lui crier : « Plus bas donc, je n’entends plus les autres ! » Aussi bien, quand les autres affrontent de nouveau la rampe, dociles à ses avis, et prêts à réaliser ses prévisions, je le devine encore derrière le portant, qui les surveille et nous dit : « Vous voyez ; vous avais-je assez prévenu ? » et je grille de lui répondre : « La belle adresse ! Vous tenez les ficelles ! » Et ces émotions hétérogènes amènent la fatigue, qui entraîne l’incrédulité détestable au théâtre. Mais aussi pourquoi cet antique Prologue se fait-il un malin plaisir, à tout coup et à toute heure, de me déconcerter par son insistance déclamatoire ?

Les pièces les mieux faites ne résistent pas à cette impression de scepticisme et de dépit. M. Alexandre Dumas n’a pas écrit de comédie plus originale, plus fine, plus spirituelle, plus actuelle et plus observée que l’Ami des femmes. Encore un coup, cela est vif, cela est moderne, cela est vrai, cela est tout à fait supérieur et d’une verve incomparable. Pour ma part, je n’y vois qu’une tache, qui est l’ami des femmes. Rôle brillant, enlevé, réussi, à merveille ; mais trop directeur, trop prestidigitateur, trop sûr de son succès, enclin à démontrer ses tours de passe-passe, et qui parvient seulement à faire sentir que tout cela est trop préparé, trop expliqué, et tout artificiel : dont je ne me serais point douté sans lui. Il finit par agacer fâcheusement, ce Robert Houdin, qui débine ses trucs, pensant faire